Thomas Kruithof nous plonge dans les rouages du monde politique…
On sait bien que le cinéma français n’est pas forcément très doué pour le film politique. Seul ou presque, Nicolas Pariser avec Le Grand Jeu, puis Alice et le Maire semble à l’aise dans ce genre. Mais avec Les Promesses, Thomas Kruithof apporte une contribution réussie à ce fragile édifice. Maire d’une ville du 93, Clémence (Isabelle Huppert) livre avec Yazid (Reda Kateb), son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité jadis radieuse mais désormais minée par l’insalubrité et les marchands de sommeil. Ce devrait être son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection. Mais quand elle est approchée pour devenir ministre, rien ne va plus : que choisir entre ses promesses et ses ambitions locales d’un côté et la perspective d’une carrière nationale ? Avec un tel point de départ, on pouvait s’attendre à tout, y compris au pire de la caricature et du cliché. Or, comme en son temps Claude Chabrol avec l’excellent L’Ivresse du pouvoir, Kruithof a la bonne idée de vouloir éclairer les zones d’ombre sans verser dans la facilité du film à thèse. Les personnages incarnent l’art délicat de la complexité. L’élue locale oscille ainsi entre arrivisme débridé, clientélisme assumé et noble ambition de défendre la veuve et l’orphelin. Comme dans la vraie vie, la réalité est ici très grise. De même, le directeur de cabinet n’est ni tout blanc ni tout noir. Son désir de bien faire et d’œuvrer pour le bien public l’entraîne dans le mensonge et la dissimulation, avec pour tout viatique la conviction que la fin justifie les moyens. Documenté, vraisemblable et réaliste, le film s’apparente alors à une sorte de thriller municipal très efficace : ici, pas de flics et de voyous, mais un vrai suspense autour de magouilles politiques, d’affaires immobilières plus ou moins véreuses et d’une misère sociale omniprésente. Cette approche rend l’histoire et les enjeux plus directement accessibles. Et Kruithof refuse heureusement de jouer la carte du clin d’œil permanent. Il ne s’agit pas de brosser le portrait d’une « femme puissante » comme l’air du temps le lui suggère si fortement… À aucun moment le personnage de Constance n’est idéalisé et le film nous épargne le scénario de la femme politique vertueuse qui se bat seule dans un monde de mecs abominables. On regrette seulement que la représentation du pouvoir national laisse plus de place aux clichés, en opposant un peu facilement l’échelon ministériel composé d’arrivistes sans vergogne à un pouvoir local se démenant contre la fracture sociale. Mais, c’est un défaut mineur tant le film, en progressant, multiplie les points de vue et gagne en profondeur. Tour de force, il y parvient à travers des scènes qui, sur le papier, pourraient s’avérer soporifiques : d’assemblées générales de copropriétaires en colère à des réunions de chantier en passant par des déjeuners d’organisation stratégique, on plonge au cœur d’une réalité qui n’a rien de spectaculaire. Or, l’accumulation de ces moments fait le prix et le poids du film. La politique est d’abord envisagée comme un exercice quotidien dont il convient de montrer sans détour les aspects les plus « triviaux ».
Et puis, pourquoi ne pas le dire, Isabelle Huppert emporte définitivement le morceau en incarnant à la perfection cette femme politique. Elle est absolument crédible tout en demeurant cette actrice énigmatique qui se tient à distance de ses rôles. Avec elle, il n’est jamais question de se diluer dans son personnage. Avec Huppert, chaque film devient un détail dans un portrait d’ensemble, un petit pan dans une carrière parfaitement maîtrisée, faisant écho le cas échéant à d’autres rôles, comme c’est ici le cas avec le film de Chabrol déjà mentionné. Les Promesses, c’est aussi et peut-être d’abord un nouveau film sur un sujet d’étude nommé Isabelle Huppert.