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Les cinq dernières dynasties d’artisans-chocolatiers français

Merci pour le chocolat!


Les cinq dernières dynasties d’artisans-chocolatiers français
Les Roannais François et Hugo Pralus dans les feuilles de cacaotiers © Chocolats Pralus

Les grandes multinationales sont en train de mettre la main sur le marché du chocolat, en délocalisant et en défiscalisant. Les petits artisans ont de plus en plus de mal à survivre. Chez nous, Bonnat, Morin, Bernachon, Pralus et Cluizel continuent à sélectionner, torréfier et broyer leurs propres fèves de cacao, quand tous les autres chocolatiers français se fournissent généralement en blocs ou pastilles préalablement fabriqués par d’autres. Redécouverte de ces véritables chocolateries à l’ancienne.


Christophe Colomb fut très vraisemblablement le premier homme d’Occident à boire une tasse de chocolat, celle, en or,  que lui avait offert le dernier empereur aztèque Moctezuma II, au Mexique, en 1492. Pour les Aztèques, la fève de cacao était une monnaie d’échange : un esclave chez eux valait cent fèves…

Le cacaoyer était un arbre sacré qui avait été donné aux hommes par le dieu Quetzalcoalt. Aujourd’hui encore, sur certains haut-plateaux du Mexique et du Pérou, il est toujours vénéré et cultivé à l’ombre de grands arbres appelés « mères du cacao ». Comme la pomme de terre et la tomate, le chocolat est le plus beau cadeau que le Nouveau Monde ait fait à l’Ancien. Après avoir été longtemps l’apanage de la noblesse, il est devenu au fil du temps un indispensable produit du quotidien et a donné naissance à une nouvelle industrie. Songez qu’il y a moins d’un siècle, chaque ville de France possédait encore sa chocolaterie familiale où les fèves de cacao arrivaient dans des sacs de toile de jute avant d’être torréfiées et broyées… Les tablettes y étaient enveloppées à la main dans du papier d’étain que les mères conservaient précieusement à plat, bien lisse, pour le vendre ensuite aux fondeurs de couverts ambulants… C’était la France d’hier.

© Manufacture Bernachon

Il y avait Menier à Noisiel, Auguste Poulain à Blois (auteur du fameux slogan : « Goûtez et comparez »), Daumesnil à Chartres, Pupier à Saint-Etienne… Avignon (réputée pour ses « papalines »), Orléans, Pontarlier, Trois-Palis, Bayonne, Saint-Étienne-de-Baïgorry et Saint-Pierre-du-Regard étaient aussi célèbres pour leurs chocolateries.

Derniers héros

De toutes ces dynasties d’artisans-chocolatiers, il n’en reste plus en France que cinq : Bonnat à Voiron, Bernachon à Lyon, Pralus à Roanne, Morin à Donzère (dans la Drôme) et Cluizel à Damville (en Normandie). Ce sont les derniers, les purs, les héros de « la fève à la tablette »… Car leur art n’est plus enseigné dans les écoles. En fait (le public l’ignore), la plupart des chocolatiers connus se contentent de fondre des « couvertures » (c’est-à-dire des blocs ou des pastilles de chocolat) préalablement fabriquées par d’autres (en général Valrhona). Patrick Roger, Pierre Hermé, Jean-Paul Hévin, par exemple, procèdent ainsi : ce sont des « fondeurs en chocolat ».

Quant à l’actuelle mode du « bean to bar » née aux États-Unis il y a 30 ans, elle permet à tout un chacun de fabriquer son propre chocolat dans sa cuisine avec cinq kilos de fèves et de s’auto-proclamer « artisan-chocolatier ». On peut aujourd’hui acheter une petite machine anglaise pour moins de 1500 euros… 

Nos dernières familles, elles, importent, trient et stockent des dizaines ou même des centaines de tonnes de fèves qu’elles transforment en chocolat tout au long de l’année en utilisant des machines qu’on ne fabrique plus nulle part. Elles cultivent elles-mêmes leurs cacaoyers, là-bas, au Pérou, au Venezuela et à Madagascar. Elles portent une histoire et s’enracinent dans un territoire. On peut visiter leurs boutiques à Paris mais le plus émouvant est bien sûr d’aller découvrir leurs maisons-mères sur place, dans nos belles provinces, comme chez les Bonnat, à Voiron, près de Grenoble, où l’on fabriquait déjà du chocolat avant la Tour Eiffel : « Notre recette est la même depuis 1880 et nous travaillons avec les mêmes familles de planteurs depuis 150 ans » nous explique Stéphane Bonnat. Toujours en quête de nouvelles variétés de cacao, c’est lui qui a découvert « le cacao le plus ancien du monde : le « real de Xoconuzco », dont les fèves offrent une palette aromatique extraordinaire… » Sa dernière création est le chocolat à la liqueur de chartreuse (fabriquée ici, à Voiron, par les moines chartreux depuis le XVIIe siècle). Stéphane a laissé ses fèves de cacao plusieurs mois dans un vieux fût vide afin qu’elles s’imprègnent des effluves de la liqueur… Une micro-production qui s’est vendue en quelques jours.

Manufacture Bonnat, Voiron (38)

https://bonnat-chocolatier.com/fr


Photo : Jérôme Poulalier

Franck Morin, lui, est le plus petit de la bande. Sa chocolaterie méconnue, fondée par son arrière-grand-père, est une pépite que je vous conseille de découvrir absolument ! « À l’époque, le chocolat était plus sucré, on assemblait différentes origines de cacao pour obtenir un goût consensuel. En allant à Sao Tomé, j’ai découvert que chaque plantation est unique et possède un goût spécifique. J’ai donc décidé de faire des chocolats de crus. »

Avec sa broyeuse de 1931 il extrait toujours ses 400 kilos de beurre et de poudre de cacao, « ce beurre, très précieux, est remplacé dans l’industrie par la lécithine de soja ». Tous ses chocolats sont exquis et merveilleux. Franck possède aussi son propre verger d’amandiers et de griottiers…

Manufacture Morin, Drôme

chocolaterie-morin.com


À Lyon, la famille Bernachon est connue comme le loup blanc. Ici, rien n’a changé depuis 1953, ni les machines, ni les recettes… Petit-fils de Paul Bocuse, Philippe Bernachon est le gardien du temple pour qui le chocolat est plus qu’une friandise, mais « un mets complexe à utiliser dans la cuisine (pour donner de la profondeur au lièvre à la royale !) et à déguster avec un beau vin rouge de Côte-Rôtie »… Ses ganaches à la crème d’Isigny trempées à la main dans le chocolat fondu sont divines. Comme il n’y a plus de vraies écoles où apprendre le métier de chocolatier, tous les passionnés viennent chez lui, comme Vincent Guerlais qui depuis a créé sa maison à Nantes…

Manufacture Bernachon, Lyon

www.bernachon.com


Fournisseur de tous les grands chefs (Troisgros, Gagnaire, Verjus qui fait avec son chocolat porcelana du Vénézuela la meilleure mousse au chocolat de Paris) François Pralus a appris le métier de chocolatier chez les Bernachon (« une école exceptionnelle ! ») avant de reprendre l’entreprise familiale à Roanne. Alors que Bernachon perpétue l’art de l’assemblage des crus, Pralus, lui, a très vite opté pour « le chocolat de terroir ». Comme pour le vin, il veut exalter la typicité des fèves de cacao en fonction de leur lieu de naissance. « Mon cru de Madagascar est très fruité et acidulé, à l’opposé de mon Chuao du Vénézuela très boisé et épicé. » François a aussi été le premier à partir cultiver ses propres cacaoyers (il en a planté 17 000 au milieu de poivriers sauvages). Pralus n’en est pas moins inquiet pour l’avenir : « Le cacao est une denrée rare, Chinois et Indien, mettent la main sur les plantations, le chocolat va devenir un produit de luxe ! »

Manufacture Pralus, Roanne (42)

https://www.chocolats-pralus.com


En 1947, à Damville, le grand-père de Marc Cluizel fabriquait ses orangettes dans sa cuisine pendant que son épouse tenait la caisse… Aujourd’hui, la manufacture Cluizel est reconnue « Entreprise du Patrimoine Vivant », emploie 180 salariés et possède 600 points de vente en France… « Notre métier est de faire des chocolats simples et lisibles, à partir de produits nobles : crème d’Isigny, miel de pin des forêts de Lorraine, pistaches de Sicile… »

Le joyau des Cluizel ? Les griottes macérées 18 mois dans des fûts de chêne emplis de kirsch d’Alsace, puis enrobées de chocolat noir du Pérou… Le praliné à la noisette romaine cuit dans de vieux chaudrons en cuivre patiné est aussi fabuleux : « Le secret est qu’il ne faut pas utiliser de machines en métal pour broyer les noisettes car il donne un goût désagréable, il faut une meule en granit ».

Comme Bonnat, Morin, Bernachon et Pralus, Cluizel puise sa force dans l’histoire et la continuité de son entreprise familiale, et il respecte toutes les étapes de la fabrication : « Alors que les nouveaux chocolatiers tendance « bean to bar » sélectionnent des fèves déjà (trop) fermentées, nous, nous suivons le processus de fermentation et veillons à ce que les goûts du cacao soient toujours agréables, fruités, équilibrés, sans acidité excessive… »

Manufacture Cluizel, Damville (27)

https://cluizel.com/fr


La France pourrait légitimement rendre hommage à ses derniers artisans-chocolatiers… à moins que ça ne vous ait un parfum un peu trop rétro et France du terroir ?


La recette de la mousse au chocolat du chef étoilé Bruno Verjus.
« Neuf personnes sur dix aiment le chocolat : la neuvième ment ! » plaisante ce chef né à Roanne qui ressemble à un personnage de Rabelais. Sa fameuse mousse, il l’a fait à partir du chocolat « porcelana » de son ami François Pralus. « C’est un chocolat incroyable, issu d’un terroir exceptionnel situé près du lac Maracaibo au Vénézuéla. La fève est d’une couleur blanche immaculée… »
Monter 450 g de crème liquide au batteur électrique.
Obtenir une crème fouettée.
Laisser reposer au frigo.
Faire bouillir encore 150 g de crème liquide.
La verser chaude sur 250 g de chocolat noir haché au couteau.
Amalgamer à l’aide d’un fouet afin d’obtenir une ganache onctueuse et lisse.
Ajouter la moitié de la crème fouettée à la ganache.
Mélanger délicatement.
Incorporer le restant de la crème.
Mettre deux heures au frigo.
Déguster… •
Le chef Bruno Verjus © Hannah Assouline



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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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