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Boniface qui mal y pense


Il revient. Et il n’est pas content. À la suite de l’article que j’ai consacré à ses tribulations algéroises, Pascal Boniface nous envoie un droit de réponse dont malheureusement, chers lecteurs, vous ne pourrez lire que les deux paragraphes publiables, Gil Mihaely, directeur de la publication de Causeur, ayant estimé qu’il ne relevait pas du droit de réponse, entre autres raisons parce qu’il contient une série d’appréciations plutôt désobligeants sur quelques amis et surtout sur ma modeste personne, pseudo-journaliste, communautariste refoulée recourant à des méthodes rappelant celles de « la presse d’extrême droite des années 30 » et tutti quanti. Je remercie Boniface pour ses leçons de déontologie et l’invite à publier ses âneries ailleurs – ce dont il ne se prive d’ailleurs pas. Mon admiration pour Alain Finkielkraut et le soutien que je lui ai apporté le défrisent ? C’est son problème. Il n’aime pas mes opinions sur ceci et cela ? Je mentirais en disant que j’en suis désolée. Il trouve que je ne le lis pas assez ? Là, je reconnais que c’est assez bien vu même si, effectivement, j’ai encore en ma possession sa fameuse note intitulée : « Le Proche-Orient, les socialistes, l’équité internationale, l’efficacité électorale » (c’est moi qui souligne). Dans cette note qui lui valut une polémique avec Elie Barnavi et sa suspension de la commission internationale du PS, il écrivait notamment : « À miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, (c’est encore moi qui souligne) la communauté juive est perdante là aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et/ou musulmane s’organise elle aussi, voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas. » Je dois confesser que j’avais totalement oublié qu’outre ses nombreuses qualités il ne manque pas d’humour notre expert international. Il en fallait pour écrire en 2001 que « la communauté d’origine arabe et/ou musulmane pèsera vite plus lourd si ce n’est déjà le cas » (que la communauté juive). Bref, non seulement il comptait les juifs et les arabes mais il faut aussi dire qu’il comptait assez mal. Quant aux juifs qui misaient sur leur poids électoral pour peser sur la politique (hystériquement pro-israélienne comme on le sait) du président Chirac, qu’on me les amène car eux sont carrément des imbéciles. Mais peut-être ce document qui a miraculeusement survécu à quelques déménagements est-il un faux, une sorte de Protocole des sages de Sion dont on a voulu se servir pour faire taire cet expert si dérangeant.

Mais venons-en au fait. Donc, tout ce que j’ai dit, c’étaient que des menteries. Pascal Boniface n’a jamais tenu les propos que lui prête le quotidien El Khabar et dont j’ai utilisé la traduction en français publiée par le journaliste Chawki Freïha sur le site mediarabe. Dans un texte intitulé L’union des faussaires que j’invite les lecteurs de Causeur à lire de toute urgence, il s’étonne du crédit que moi et mes copains faussaires (en l’occurrence Mohamed Sifaoui et l’UPJF) portions du crédit « à ce journal en langue arabe dont on peut supposer que, d’ordinaire », nous ne tenions « pas ce qui y est publié comme vérité absolue ! ». J’avoue humblement n’avoir pas imaginé qu’un quotidien qui a cru bon d’inviter Pascal Boniface à un colloque ait pu déformer ses propos au point de lui faire dire le contraire de ce qu’il disait.

Car c’est de cela dont il s’agit : « Le problème, écrit mon contradicteur, est que les propos qui me sont attribués par ce journal sont à l’inverse de ce que j’ai dit et correspondent aux questions qui m’ont été posées et non aux réponses exactement inverses que j’ai faites. J’ai en effet au contraire déclaré qu’on ne pouvait pas parler de lobby juif en France, car les Juifs français avaient, tant sur le Proche-Orient que sur l’image des Arabes, des avis très différents. Je déclarais que des gens différents (ce qui montre qu’il n’y a pas de lobby juif) comme Lévy, Sifaoui et Val, tout en prenant des postures de courageux résistants, vont dans le sens du vent en développant globalement l’idée que si tous les musulmans ne sont pas terroristes, tous les terroristes sont musulmans, que si tous les musulmans ne sont pas des intégristes, tous les intégristes sont des musulmans. »

Je précise que le Lévy dont il est question est Bernard-Henri, Boniface ne va tout de même pas s’abaisser à citer une « excitée » (un peu faiblard pour votre servante, non ?) qui « squatte les plateaux télé » (pas assez si vous voulez mon avis mais bon, on ne peut pas être d’accord sur tout). Et je dois dire que même ces propos-là, je ne les trouve pas très malins. Je lui accorde volontiers cependant que le trio qu’il affirme avoir cité ne colle pas avec l’idée du lobby juif – si l’on s’en tient à une définition « communautaire » dudit lobby. En tout cas, si Pascal Boniface dit vrai, ce que nous ne saurions exclure par principe, je ne saurais trop lui recommander d’être plus prudent dans le choix des invitations qu’il accepte. Et je suis certaine que les faussaires algériens d’El Khabar – qui sont au moins aussi coupables et fielleux que moi- ont reçu une réponse aussi incendiaire. De même que les journalistes du quotidien francophone Jour d’Algérie qui ont publié le 5 novembre un compte-rendu du colloque. Il nous faut encore remercier Chawki Freïha qui a reproduit sur son site l’intégralité de l’article dont voici quelques extraits.

Médias occidentaux et monde arabe : « Attaquer les musulmans ne coûte pas cher » : Animant une table ronde sur les médias occidentaux et le monde arabe, le stratège français Pascal Boniface, invité mardi au Salon du livre d’Alger, soutient que le lobby arabe en Europe n’est guère puissant, ce qui facilite les attaques contre l’islam et les musulmans. D’emblée, il souligne que beaucoup de médias occidentaux s’acharnent aujourd’hui à diaboliser l’image des musulmans et de l’islam car ils savent qu’en contrepartie ils ne seront ni sanctionnés, ni pénalisés. « Les responsables des médias croient que ce sujet intéresse le public, que ça choque, que ça augmente l’audience alors ils en profitent ! D’autres pensent que dire cela est un courage intellectuel ! C’est considéré même comme de la lucidité et du courage », dit-il, citant au passage quelques français réputés comme Bernard Henry Lévy, Philippe Val et Alain Finkelkraut, des intellectuels français qui s’inscrivent dans ce courant de pensée communautariste et qui reproduisent la pensée de la classe dominante en France et en Europe. Ils font dans le politiquement correct ! « Ces gens disent qu’ils ne sont pas contre les musulmans mais ils s’en prennent à l’islam ! Ils entretiennent un discours contradictoire et diffusent la confusion et l’amalgame. D’ailleurs, ils ouvrent les portes à tous les musulmans qui regagnent leur rang et se trahissent comme Mohamed Sifaoui. » Pour Boniface, les Français de confession musulmane ou d’origine maghrébine ou arabe sont intégrés dans la société française et c’est toute une population qui pousse et qui monte aujourd’hui en Europe. « Quand j’étais lycéen, dans ma classe il n’y avait aucun Français d’origine maghrébine ou arabe. Quand je suis entré à la Faculté, ils étaient quelques étudiants enfants de diplomates. J’enseigne aujourd’hui à l’université, en classe il y a un nombre important d’étudiants français de confession musulmane ou d’origine maghrébine. Les enfants de la cité sont là, ils ne veulent plus laisser leurs êtres aux vestiaires, ils veulent parler et s’exprimer », lâche le conférencier. Illustrant ses dires, il raconte un fait divers rapporté récemment par les médias occidentaux. Une Française a été condamnée à six mois de prison ferme parce qu’elle a contrevenu aux lois canadiennes. Elle a suivi son mari qui a kidnappé ses enfants au Canada ! « Cela a été mis dans les faits divers. Imaginez un instant que son mari ait été d’origine algérienne ou arabe ! Cela aurait fait la une de tous les médias. »

Il est vrai que dans la version française, Pascal Boniface n’aurait pas employé l’expression « lobby juif », mais, ainsi que je l’avais indiqué, ce n’est pas cette formule en soi qui me semble insupportable. J’admets au contraire que l’existence d’un tel lobby peut tout-à-fait être l’objet d’une discussion. Je déplore d’ailleurs à titre personnel que ce lobby, s’il existe, soit bien peu reconnaissant à l’égard de ses fidèles porte-parole. En revanche, je continue à trouver franchement inélégant pour ne pas dire absolument infect d’accuser Val, Lévy et Finkielkraut, de « s’en prendre à l’islam » et « d’ouvrir leur porte aux musulmans qui se trahissent comme Mohamed Sifaoui ». J’aimerais d’ailleurs un éclaircissement sur cette catégorie jusque-là inconnue de moi des « musulmans qui se trahissent ». Il faudra que Boniface m’explique comment je peux être une communautariste aussi échevelée que masquée parce qu’il m’arrive d’observer un certain antisémitisme, tandis que Sifaoui, lui, est un traître au motif que ses choix idéologiques ne sont pas inspirés par son origine. Mais, je le répète, sans doute les propos de Boniface ont-ils également été déformés par le quotidien francophone qui publiera sous peu le droit de réponse envoyé par l’offensé.

Comme l’écrit encore Chawki Freïha « le lecteur se retrouve devant deux versions diamétralement opposées, couvrant un seul et même événement. D’un côté, des journaux algériens qui reproduisent des propos, et de l’autre, l’auteur de ces propos qui les infirme. Qui dit vrai ? Il revient à l’intelligence du lecteur de faire la part des choses, en tenant compte d’une possible tendance des médias algériens à exploiter les propos de Boniface et à les amplifier pour des raisons que personne ne peut ignorer. Mais aussi, il convient de tenir compte de la sensibilité politique et idéologique de Pascal Boniface. Un exercice particulièrement délicat pour comprendre ce qui s’est passé à Alger ». J’ajouterai que si le journaliste de Jour d’Algérie a purement et simplement inventé les propos prêtés à Boniface, cela prouve au moins qu’il suit avec attention les débats en France car comme dit l’autre si non e vero…

J’attends donc avec impatience de recevoir les droits de réponse publiés par ces deux organes de presse dont les journalistes doivent être dénoncés comme les faussaires en chef et je suis certaine qu’ils seront rédigés dans des termes aussi choisis que celui auquel nous avons eu droit. Et s’il s’avère que tout cela est un bidonnage de la pire espèce, et que Pascal Boniface n’a rien dit qui ressemble à ce qu’on lui attribue, je lui présenterai volontiers mes excuses pour avoir cité ces confrères.

Dernière précision. Voilà encore ce qu’écrit Boniface : « Elisabeth Lévy me connaissait très bien dans les années 90 lorsqu’elle travaillait pour le journal Le Temps à Genève. Elle m’appelait alors régulièrement pour entendre mes analyses sur le conflit des Balkans. Jusqu’au jour où je lui ai dit que, si j’étais ravi de lire ses articles où je retrouvais la plupart de mes analyses, j’aurais apprécié qu’elle cite ses sources. » Outre le fait qu’il me reproche curieusement, dans la présente affaire, de citer mes sources, je trouve cette accusation doublement vexante : d’une part, le pillage dont nous sommes souvent victimes à Causeur me fait horreur – je suis connue pour être plutôt tatillonne sur la question – et d’autre part si je devais le pratiquer je ne choisirais pas Pascal Boniface comme victime. Il est vrai cependant qu’il m’est arrivé de l’appeler ainsi que d’autres chercheurs de l’IRIS lorsque je travaillais en Suisse (non pas au Temps mais au Nouveau Quotidien) et je l’ai régulièrement cité, il doit en rester quelques traces dans mes cartons, je me ferai un plaisir de les lui envoyer quand j’aurai le temps de faire de l’archéologie. Ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de mieux. Que voulez-vous, on est con quand on est jeune.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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