Le procureur général de la Cour de Cassation, François Molins, s’apprête à ranger sa toge, après une grande carrière dans la magistrature.
Face à tous ceux qui, de manière compulsive, déblatèrent sur la magistrature, en ignorant tout d’elle et de la réalité judiciaire, je vais encore une fois encourir leurs foudres en rendant hommage au procureur général près la Cour de cassation François Molins qui, dans quelques jours, partira à la retraite. Il est qualifié, dans un beau portrait du Figaro, de « héraut de la justice moderne ». Sans facilité, je le perçois plutôt tel un héros de l’institution judiciaire. J’avais déjà, le 27 novembre 2015, écrit un billet sur lui : « Au four et au Molins…», dans lequel je faisais part d’une révision déchirante à son sujet ! Après une approche initialement négative fondée sur des raisons qui avec le recul me sont apparues très discutables, j’ai été pleinement admiratif d’une personnalité et d’un comportement qui, l’une et l’autre, ont fait honneur à la magistrature et dessiné dans l’opinion une image infiniment positive d’une fonction de procureur de la République à Paris mal connue, ou caricaturée comme étant une courroie de transmission du pouvoir en place.
Un parcours exemplaire
Je n’ai pas besoin de revenir sur le lien exceptionnel que François Molins a su établir avec les citoyens, en n’oubliant jamais de préciser qu’il était le chef d’un parquet, d’une équipe compétente et solidaire, avec ses qualités de communication sur les affaires de terrorisme dont il a été à plusieurs reprises tragiquement et techniquement saisi. Il a réussi le tour de force de comptes-rendus informés, fiables mais jamais gangrenés par une subjectivité et un narcissisme envahissants. Des modèles dont certains procureurs auraient dû s’inspirer.
Puis il a été nommé procureur général près la Cour de cassation et il a connu deux Premiers Présidents à la tête de la plus haute juridiction française : un homme, Bertrand Louvel et une femme, Chantal Arens.
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Une carrière exceptionnelle. J’entends déjà les grincheux me reprochant de l’avoir ennobli avec le terme de héros alors que, selon eux, il n’aurait fait que son métier et accompli sa mission. Puis-je d’abord soutenir que le monde judiciaire, en dépit d’hyperboles médiatiques souvent mal placées, n’est pas riche à ce point de magistrats hors du commun et, plus surprenant, appréciés par tous, qu’on puisse se dispenser de faire un sort élogieux à celui qui le mérite ? J’ajoute que François Molins s’est trouvé mobilisé par sa tâche dans une période particulière où il a dû notamment – phénomène inouï – résister aux entreprises de dénigrement et de déstabilisation du garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui aurait dû plus que tout autre, précisément à cause de sa mise en examen inédite devant la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République, faire preuve d’exemplarité, de retenue, de déférence judiciaire et de courtoisie démocratique.
Malgré ces aléas et ces traverses qu’aucun procureur général n’avait avant lui affrontés, François Molins n’a pas dévié et a porté haut l’honneur de la magistrature, sans tomber dans un excès qui aurait pu lui être pardonné mais qu’heureusement il a évité. Il y a eu quelque chose de très gratifiant dans cette lutte entre un ministre tout vindicatif et d’humeur et un procureur général maître de lui et seulement soucieux du droit. Je n’oublie pas non plus la rédaction conjointe d’une tribune, dans Le Monde du 29 septembre 2020, par Chantal Arens et François Molins, en réaction à certains propos du même ministre de la Justice et à la suite d’une enquête administrative ordonnée par ce dernier à l’encontre de trois magistrats du PNF. On connaît la déconfiture qui en est résultée pour le garde des Sceaux.
Un rempart pour l’État de droit
Je confirme que François Molins est un héros parce qu’il a apporté de la lumière et de l’éclat dans un univers qui souvent, par frilosité, masochisme ou révérence, pèche, se laisse mener plus qu’il n’inspire et stimule. Il va quitter ce monde judiciaire qu’il a remarquablement servi alors que sa mesure, son intégrité et son intelligence seraient plus que jamais nécessaires dans une période où on risque de voir se multiplier des comportements problématiques susceptibles de sanctions disciplinaires. Par exemple, quand on a appris que le Syndicat de la magistrature s’était égaré au point de conseiller aux personnes interpellées, lors des manifestations, ce qu’il convenait de faire ou de ne pas faire pour échapper à la loi et se prémunir de ses effets rigoureux. Autrement dit, une magistrature ruinant un État de droit au nom duquel François Molins n’a cessé d’agir et de résister.
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François Molins était sans doute le seul à susciter une adhésion et à inspirer une estime, voire une admiration, toutes tendances professionnelles et syndicales comprises. Ce n’était pas rien que ce consensus sur sa personnalité et sa manière d’occuper le deuxième plus haut poste de la hiérarchie judiciaire. Un très grand magistrat en même temps qu’un honnête homme : un alliage rare. On ne le remplacera pas vraiment. Impossible, me semble-t-il, de trouver dans une même personnalité modestie et sens de l’honneur, modération et résistance, droit et humanité, tenue et simplicité. Pourtant, il faudra bien choisir, dans une situation incongrue où le ministre de la Justice ne devra surtout pas s’en mêler ! Bon courage au successeur…
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