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Bon appétit m’sieur dame

Entre comédie noire et satire terrifiante, à la limite du gore.


Bon appétit m’sieur dame
Affiche du film

Le cinéma américain montre qu’il sait toujours être mordant.


C’est sous les auspices de Disney (Searchlight Pictures) que le réalisateur et producteur d’origine britannique Mark Mylod, en haut de l’affiche pour avoir dirigé de main de maître pas mal d’épisodes des trois dernières saisons de la série qui cartonne, Game of Thrones, a concocté Le Menu, écorché des mœurs américaines, saignant et percutant, avec casting haut de gamme en prime.

Tyler (Nicholas Hoult), amateur de chair fraîche autant que de bonne chère, débarque au Hawthorne – « aubépine » en français –  flanqué de l’appétissante Margot (Anya Taylor-Joy), escorte-girl dénichée au pied levé pour remplacer l’ex-copine qui vient tout juste de le larguer. Le Hawthorne ? Un restaurant insulaire serti dans une architecture high tech, maison ultra hype fichée au cœur d’un paysage au cordeau, adresse exclusive que se réserve une clientèle peu regardante sur l’addition. En adepte inconditionnel, le jeune gourmet propre-sur-lui a réservé une table (ruineuse) pour ce dîner d’exception. S’y joignent une douzaine de convives, tous triés sur le volet, pour la plupart venus en couple (l’étiquette de la maison excluant sans dérogation possible les repas en célibataire). Sur ce refuge classieux de la haute gastronomie d’avant-garde officie Julian Slowik (génialement campé par Ralph Fiennes, la star de Grand Budapest Hotel ou The Constant Gardener, qu’on reverra bientôt sur les écrans dans The Forgiven, un film de John Michael Mc Donagh et Lawrence Osborne), plus essentiellement gourou que simple chef étoilé, assisté d’une brigade de marmitons, sommelier et autres maîtres d’hôtels obéissants au doigt et à l’œil, tandis qu’une gouvernante asiatique régente avec une autorité glaçante l’ordonnancement de la cérémonie. Les autres commensaux ? Accompagnée par son servile rédac chef, la critique gastronomique hors d’âge au snobisme faramineux Lilian Bloom (interprétée de façon aussi féroce que désopilante par la merveilleuse actrice Janet Mc Teer) ; un milliardaire cacochyme et sa vieille épouse ripolinée au fond de teint (Reed Birney et Judith Light) ; une tablée de parvenus élevés dans la fange, trio de cadres qui prennent leur carte Platinium pour un sauf-conduite universel ; un comédien en bout de carrière (John Leguizamo) et son assistante, type odieux, plus plébéien-que-moi-tu-meurs… Ce petit monde peu ragoutant en somme s’apprête à vivre – ou, pour certains habitués, à revivre – une rare expérience de fooding sophistiqué dans l’isolement pour happy few d’un cadre « paradisiaque », comme on dit. Ils vont être servis.

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Entre comédie noire et satire terrifiante (à la limite du gore), Le Menu doit beaucoup de ses indéniables qualités à l’écriture finement ciselée de son scénario (Seth Reiss et Will Tracy) dont les répliques très affutées font mouche, et à la mise en scène extrêmement soignée grâce à laquelle ses acteurs y donnent le meilleur d’eux-mêmes, –  à commencer par le sardonique et inquiétant Slowik, sous les traits de Ralph Fiennes… Ecorché (au sens anatomique) dans le corps social américain mitonné par une antédiluvienne major d’Hollywood sous les dehors et l’esthétique léchée d’une œuvre de «cinéma indépendant», le film proprement dit, par son acidité, par sa cruauté mêmes, ne figure-t-il pas le miroir – cynisme à la puissance deux ! – du Septième art tel qu’il en est venu, outre-Atlantique, à refléter les turpitudes dont, sans vergogne, il se fait tout à la fois le dispensateur et le réceptacle, le bénéficiaire commercial et la chambre d’écho mondialisée ?

Sorte d’anti Grande bouffe (Marco Ferreri) clinquant et parfaitement huilé, Le Menu puise une bonne part de  son inspiration, semble-t-il, tour à tour à tour dans L’ange exterminateur, ce génial huis-clos de Luis Bunuel qui encage un souper mondain de grands bourgeois dans une villa mexicaine qu’un étrange sortilège a privé de toute issue, et dans Les chasses du conte Zaroff, immortelle série B signée Schoedsack (1932) où les élégants rescapés d’un naufrage deviennent le gibier du maître de maison… Bref, les anciens râteliers ne sont jamais de trop pour faire de la nouvelle cuisine.              

Affiche du film

Le Menu. Film de Mark Mylod, avec Ralph Fiennes, Anya Taylor-Joy, Nicholas Hoult… Etats-Unis, 2022. Durée : 1h47. En salles.        



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