Monsieur le Président, `
Je vous fais une lettre pour vous souhaiter un bon anniversaire.
Je voudrais vous dire, bien que j’aie fait partie de ceux qui vous ont combattu politiquement une bonne partie de leur vie, que j’ai toujours eu pour vous une étrange affection. Sans doute parce que vous étiez encore un peu gaulliste et qu’il y a quelque chose dans le gaullisme qui continuera à me fasciner, longtemps. Une certaine intelligence de l’histoire, un désir de ne pas cantonner une nation comme la nôtre à devenir une unité économico-administrative d’un empire mondialisé continuaient à habiter votre démarche. Démarche, cela est à prendre dans tous les sens du terme, comme dans la Théorie de la démarche de Balzac. Une façon de se mouvoir physiquement mais aussi de savoir où l’on veut aller.
Je veux ainsi voir, derrière vos multiples métamorphoses, celles qui vous firent prôner le « travaillisme à la française » dans les années 70, le thatchérisme dans les années 80 avant de prétendre combattre la « fracture sociale » dans les années 90, une manière d’unité qui était tout simplement l’amour de la France pour ce qu’elle est : une vieille nation intelligente mais fatiguée, qui a besoin de rêver à autre chose qu’à la réduction des déficits et à la mise en conformité de sa société avec les exigences du marché comme on met en conformité les prises électriques d’une maison.
Je n’ai jamais voté pour vous, à vrai dire. À une époque, vous m’avez même fait peur. Mais j’étais jeune et les affiches de la gauche pour les législatives de 86 qui vous représentaient subliminalement comme loup avec le slogan « Au secours la droite revient ! » représentaient bien l’état d’esprit du temps, dans mon camp.
Si on avait su… Je ne peux aussi que vous en vouloir pour les manifs étudiantes de 86 contre la loi Devaquet. Avec Pasqua à l’Intérieur et Pandraud à la sécurité, j’ai vraiment eu l’impression que vous vouliez jouer le remake de mai 68. C’est vrai que cela s’était bien terminé pour vous, en 68. Seulement en 86, vous n’aviez plus en face de vous une jeunesse majoritairement politisée. Dans les cortèges, il y avait même ce mot d’ordre énervant : « Pas de récupération politique ». Je vous dois ainsi mes premières charges un peu violentes de CRS, la saveur des lacrymos et quelques coups de matraques. Il n’empêche que la nuit où deux étudiants ont été défigurés et où Malik Oussekine a été tué, vous avez trouvé que ça faisait beaucoup et vous avez abandonné la réforme.
Aucune réforme ne vaut la mort d’un jeune homme, c’est sans doute ce que vous vous êtes dit et c’était d’une grande sagesse. Rien ne me prouve aujourd’hui que cette sagesse, chez un homme de droite comme chez un social-démocrate sera encore au rendez-vous quand on entrera dans le dur, le très dur des politiques austéritaires.
Je n’ai pas voté pour vous non plus en 2002, ou plutôt j’ai voté blanc. Je savais très bien que vous ne profiteriez pas de cet avertissement pour tenter, au moins tenter, un gouvernement d’union nationale. Et malgré la fameuse « quinzaine antifasciste » de l’entre-deux-tours qui a fait que tant de mes amis ont mis un bulletin à votre nom dans l’urne, je n’ai pas cédé. Je trouvais un peu fort que tout le monde vous ayant présenté comme « Supermenteur » jusqu’au 21 avril 2002, vous soyez devenu des 20h05 le dernier rempart de la République.
En revanche, en 1995, au deuxième tour, j’ai hésité. Sérieusement. La fracture sociale, ça me parlait plus que le socialisme sauce Alain Minc de Jospin qui ressemblait à un professeur de math de 4ème. Mais bon, vous connaissez les communistes, monsieur le Président, puisque vous aviez négocié avec la CGT les accords de Grenelle en 68. On dit que vous aviez une arme dans la poche mais que finalement, vous vous êtes diablement entendu avec votre interlocuteur privilégié, un certain Henri Krasucki. Les communistes sont disciplinés, et on a donc voté pour le prof de maths.
Je me suis dit, cette fois-ci, que j’avais eu raison. À part la reprise des essais nucléaires de l’été 95, histoire de montrer au monde que la France en avait encore dans le pantalon, vous vous êtes assez vite rallié à ce qu’on commençait à appeler la pensée unique et vous l’avez payé très cher en novembre-décembre 95.
Mais vous, au moins, contrairement à votre successeur, les manifs, vous ne faisiez pas semblant de ne pas les voir. Céder devant elles, c’était là aussi une forme de sagesse de votre part. Bien sûr, ce n’est pas la rue qui gouverne mais si la rue s’agite six mois après une élection, c’est que l’usure du pouvoir politique s’accélère forcément. Vous êtes le premier à l’avoir compris et à avoir décidé de gouverner à vue, pour essayer de blesser le moins possible. « Primum non nocere », d’abord ne pas nuire, le vieux principe de la médecine antique.
Je pourrais vous reprocher aussi l’Europe. D’autant plus que votre tempérament, votre intelligence, votre instinct vous auraient dû vous pousser à voter non à tous les traités depuis Maastricht et à préférer Séguin à Juppé.
Parce que quand même, souvenez-vous de votre émancipation fondatrice. Un vrai geste de jeune homme : l’appel de Cochin. Un accident sur une route de Corrèze (est-ce qu’on avait encore des DS en 1978, ou des R16 ?), l’hôpital et hop, le coup du « parti de l’étranger ».
Une scène de film à la Sautet ou la Granier-Deferre quand il adapte Creezy de Félicien Marceau avec Alain Delon dans le premier rôle. Vous étiez un homme de ce temps-là, quand la parole politique était encore performative, comme on dit en linguistique.
Mais j’oublie tout. J’oublie tout parce qu’en 2003 vous avez dit non à Bush pour aller faire la guerre en Irak. Dans mon camp, on était persuadé que vous cèderiez à la fin comme vous avez cédé sur tant de choses. Mais vous avez tenu et ce, avec un certain panache, aidé par Villepin à l’ONU. Et je me suis senti absurdement fier d’être français, ce jour-là, d’appartenir à « une vieille nation » qui ne se laissait pas abuser par les oripeaux d’une guerre contre l’ « axe du mal » qui masquait si mal une expédition néocoloniale à finalité pétrolifère.
Je ne sais pas, monsieur le Président, si vous suivez ce qui se passe à l’UMP, si même cela vous intéresse encore. Je préfère saluer votre combat contre la maladie, une de ces maladies qui dépossède de ce que l’on a été et qui sont les pires. Je vous sais lecteur de poésie car vous êtes de la dernière génération où les hommes politiques étaient cultivés.
Alors j’espère que vous préférez relire Saint John Perse et Chronique, son magnifique poème sur le grand âge :
« Grand âge, nous voici. Fraîcheur du soir sur les hauteurs, souffle du large sur tous les seuils, et nos fronts mis à nu pour de plus vastes cirques… »
Bon anniversaire, monsieur le Président.
*Photo : quicheisinsane
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