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BoJo au bord du gouffre

Boris Johnson peut-il tomber ? Qui pour prendre sa place ?


BoJo au bord du gouffre
Boris Johnson se rend à Westminster pour répondre à des questions pénibles sur le "Partygate", le 19 janvier 2022 © Guy Bell/Shutterstock/SIPA

« Pour l’amour de Dieu, démissionnez ! » Telle était l’injonction lancée hier à Boris Johnson, le chef du gouvernement du Royaume Uni, par David Davis, brexiteur, ancien ministre, Secrétaire d’État à la sortie de l’Union européenne sous Theresa May.


Cette scène dramatique s’est déroulée en pleine Chambre des Communes à la fin de la séance hebdomadaire qui, tous les mercredis, permet aux députés de poser des questions directement au Premier ministre : « Prime Minister’s Question Time ». L’édition de ce mercredi 19 janvier a été particulièrement pénible pour BoJo, contraint de supporter un véritable bombardement de questions portant sur le scandale du « Partygate ». Cette affaire ne concerne pas qu’une seule fête, mais toute une culture festive qui aurait régné au 10, Downing Street, le domicile officiel du Premier ministre, pendant au moins une partie des périodes de confinement de 2020 et de 2021. Déjà critiqué à propos d’autres affaires, comme celle de Curtaingate (l’opacité du financement de la rénovation de son appartement personnel au 10, Downing Street – d’où la synecdoque des rideaux : « curtains »), ou celle d’un député conservateur coupable de corruption mais que Johnson a défendu jusqu’au bout, Boris est aujourd’hui affaibli par l’effet corrosif d’une série de révélations sur des cocktails ou des boums ayant eu lieu dans le quartier des ministères, en violation des règles de confinement imposées par le gouvernement lui-même. L’hypocrisie apparente de cette culture festive en pleine pandémie a beaucoup choqué une large section de l’opinion publique. Sans surprise, les Travaillistes ont essayé d’en faire leurs petits oignons. Plus grave encore, de nombreux députés conservateurs, particulièrement dans ce qu’on appelle le Red Wall, ces circonscriptions dans le nord de l’Angleterre devenues Tory lors de la victoire électorale de Boris Johnson en 2019, ont reçu une avalanche de plaintes de la part de leurs électeurs furieux de voir que, pendant qu’eux-mêmes étaient confinés et séparés de leurs amis et souvent d’autres membres de leur famille, l’entourage du chef du gouvernement ne subissait apparemment pas le même sort.

La situation a été empirée par les réponses évasives, les explications inadéquates et les excuses publiques sans grande conviction du Premier ministre. Boris Johnson peut-il tomber ?

Tout un festival…

Quels sont les reproches ? Une photographie datant du 15 mai 2020 montre Boris Johnson et des membres de ses équipes dans le jardin derrière sa résidence de Downing Street : ils ont des bouteilles de vin et un plateau de fromages.

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Le chef de gouvernement a justifié l’événement en prétendant que ce n’était pas une fête – interdite à ce moment-là – mais une séance de travail. Cinq jours plus tard, une centaine de personnes sont invitées à un cocktail – respectant les gestes barrières – dans le même jardin dans un e-mail envoyé par le chef de cabinet du Premier ministre. Une trentaine de fonctionnaires y assistent en compagnie de Johnson et de son épouse, Carrie. BoJo a encore justifié sa présence en affirmant qu’il croyait que c’était une séance de travail. En novembre, la BBC annonce que, selon des rapports anonymes, une fête aurait été tenue par Carrie dans l’appartement privé, mais un porte-parole a nié le fait. Pourtant, le 27 du même mois, un pot de départ est organisé pour un membre de l’équipe. Le 10 décembre, une fête a lieu au ministère de l’Éducation mais qui n’a rien à voir directement avec le Premier ministre, suivie d’une autre au siège du Parti conservateur, le 14, organisée par l’équipe du candidat Tory à la mairie de Londres qui a perdu face à Sadiq Khan. Le lendemain, un quiz festif a lieu au numéro 10, le Premier ministre posant les questions lui-même mais apparemment par Zoom. Un autre pot de départ au bureau de Cabinet, près de Downing Street, intervient apparemment le 17. Selon des fuites, une autre a lieu le lendemain à Downing Street ; un déni officiel est mis en doute par une vidéo qui fait surface montrant l’attachée de presse du Premier ministre de l’époque en train de faire une blague là-dessus. Enfin, le 16 avril, deux fêtes sont organisées par les équipes de Downing Street mais sans la présence de Johnson lui-même.

Depuis cette époque et suite aux diverses révélations, les médias ont filmé ou enregistré de nombreuses interviews avec des citoyens qui se plaignent du fait que, par exemple, ils n’ont pas pu rendre visite à un membre de leur famille mourant, pendant que ceux qui sont au pouvoir faisait la fête… Les images sont émouvantes, mais suffisent-elles à faire tomber BoJo ?

« Et tu, Brute ? »

La séance des questions au Premier ministre d’hier a commencé par un coup de théâtre. Le leader de l’opposition, Sir Keir Starmer, a accueilli sur les bancs travaillistes de la Chambre des Communes un transfuge du Parti conservateur, Christian Wakeford, député d’une de ces fameuses circonscriptions anciennement rouges dans le nord de l’Angleterre. En fait, son changement de parti, préparé de longue date, n’a rien à voir avec le Partygate mais portait sur des questions de pouvoir d’achat. Les électeurs de Wakeford ne sont pas plus en colère contre Johnson que d’autres. En l’occurrence, il y a de nombreux juifs parmi les résidents de la circonscription qui ont abandonné le Parti travailliste à cause de l’antisémitisme de l’époque du leader d’extrême gauche, Jeremy Corbyn. Quand même, la défection a bien contribué à l’aspect dramatique des événements. Sir Keir, avocat de profession, a pointé les incohérences des différentes explications du Premier ministre au cours des dernières semaines. Mais quand il a essayé de contraster les fêtes à Downing Street en avril dernier avec la sobriété exhibée par la Reine qui a dû enterrer son époux, le prince Philip, le lendemain, le 17 avril, le président de la Chambre l’a interrompu : on ne discute pas de la famille royale au Parlement ! Boris Johnson a donné une de ses performances des mauvais jours, tantôt bredouillant, tantôt fanfaronnant, mais jamais capitulant devant ses critiques. Le mot final de David Davis a été particulièrement cruel : « Pour l’amour de Dieu, démissionnez ! » (« In the name of God, go ! ») – c’est la même formule utilisée par un député conservateur pour encourager le Premier ministre Neville Chamberlain à quitter ses fonctions en 1940, après l’échec de la campagne franco-britannique en Norvège, en 1940. Le départ de Chamberlain avait alors laissé la place libre pour Winston Churchill. BoJo n’est donc pas comparé à Churchill, à qui il voue un culte, mais à son prédécesseur réputé faible.

Mais l’acte de trahison le plus redoutable est probablement celui de son ancien conseiller, Dominic Cummings qui, depuis son éviction du pouvoir en novembre 2020, ne manque aucune opportunité pour parler de l’incompétence supposée de son ancien chef. Cette semaine, il a publié sur son blog personnel un texte où il prétend que M. Johnson était parfaitement au courant des fêtes à Downing Street et qu’il ne les a pas du tout interdites -comme Cummings le conseillait de le faire… 

Un rapport ! Mon royaume pour un rapport !

Tout le monde – que l’on soit pour ou contre M. Johnson – attend la publication des conclusions d’une enquête sur les événements menée par une haute fonctionnaire, Sue Gray.

Face aux critiques, Boris Johnson et ses ministres se défendent en prétendant que ce rapport les lavera de tout soupçon. Les opposants de BoJo proclament que le rapport démontrera la nature dysfonctionnelle de la culture de l’entourage du Premier ministre et précipitera son départ. Ceux qui jalousent la place du Premier ministre se taisent dans la mesure du possible et guettent le résultat pour lancer éventuellement leur campagne au sein du parti.

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Certains commentateurs prétendent que le rapport sera biaisé en faveur de M. Johnson. Pourtant, Sue Gray a une réputation irréprochable et s’occupe depuis longtemps de questions de déontologie à Westminster. Elle a une autre qualification pour enquêter sur cette question : dans les années 80, elle a mis sa carrière de fonctionnaire momentanément en pause afin de gérer un pub en Irlande du Nord avec son mari, un chanteur « country ». Elle est donc plus que capable de reconnaître une fête alcoolisée !

« Il y a des poignards dans les sourires » (Macbeth)

Qui pourrait prendre la place de BoJo si jamais celui-ci était contraint de démissionner ?

Selon de multiples rumeurs, des complots se prépareraient plus ou moins dans l’ombre. L’un d’entre eux a été baptisé par les médias « the pork pie plot » – la « conspiration du pâté en croûte au porc » – car les conspirateurs se réuniraient dans une circonscription dans le Leicestershire célèbre pour cette spécialité culinaire délicieuse. En termes de procédure, le tout puissant « Comité 1922 » des députés conservateurs doit recevoir 54 lettres de la part de ses membres demandant la démission du Premier ministre pour déclencher une élection pour désigner un nouveau leader au parti, élection à laquelle M. Johnson pourrait participer.

En dépit des rumeurs, on ne sait pas encore combien de lettres ont été reçues, et encore moins si ce chiffre atteindra 54.

Parmi les candidats à la succession de BoJo, on parle surtout du chancelier de l’Échiquier ou ministre des Finances, Richi Sunak, un milliardaire de religion hindoue qui a fait preuve d’une grande compétence au cours de la pandémie, et de Liz Truss, ministre des Affaires étrangères depuis l’automne et qui aime se présenter comme une nouvelle Dame de fer.

Mais en fait, le nombre des candidats possibles pourrait être plus important, de l’ancien rival de BoJo, Jeremy Hunt, un centriste aujourd’hui sans portefeuille ministériel, à son ancien compagnon de route dans le référendum sur le Brexit, Michael Gove, actuellement ministre responsable des aspects régionaux de l’activité économique du pays.

Mais BoJo en a vu d’autres. En grande difficulté, il n’est pas encore prêt à partir. Le héros du Brexit peut-il vraiment tomber pour quelques verres de vin ? Nous y verrons plus clair dès la semaine prochaine.




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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