Le poème du dimanche
On oublie parfois, à force de l’avoir rangé dans le corpus canonique des auteurs classiques que Molière, le comédien nomade, connut plus souvent qu’à son tour les auberges de hasard et les tapis-franc du vieux pays.
On oublie aussi qu’il fut le prince de la fête baroque au temps où il était protégé par Conti puis par Fouquet avant de connaître l’éclatante faveur au moment de l’interdiction par l’Eglise de Tartuffe.
Il est ainsi l’inventeur à la française de la comédie-ballet avec « l’incomparable monsieur de Lully ». Dans Le Médecin malgré lui et Le Bourgeois gentilhomme, « les deux Baptiste » associés mêlèrent comédie, musique, danse et chanson bachique dans une esthétique de la dépense et de l’excès qui nous semble bien lointaine dans notre modernité anémiée, esthétique qui faisait pourtant, en ce temps-là, l’agrément de la Cour et le bonheur de la ville.
Bouteille jolie
Qu’ils sont doux,
Bouteille jolie,
Qu’ils sont doux
Vos petits glouglous !
Mais mon sort feroit bien des jaloux,
Si vous étiez toujours remplie.
Ah ! bouteille, ma mie,
Pourquoi vous vuidez-vous ?
Le Médecin malgré lui, Acte I, scène 5
Chanson à boire
Buvons, chers amis, buvons !
Le temps qui fuit nous y convie :
Profitons de la vie
Autant que nous pouvons.
Quand on a passé l’onde noire,
Adieu le bon vin, nos amours.
Dépêchons-nous de boire ;
On ne boit pas toujours.
Laissons raisonner les sots
Sur le vrai bonheur de la vie ;
Notre philosophie
Le met parmi les pots.
Les biens, le savoir et la gloire,
N’ôtent point les soucis fâcheux ;
Et ce n’est qu’à bien boire
Que l’on peut être heureux.
Sus, sus ; du vin partout, versez, garçons, versez.
Versez, versez toujours, tant qu’on vous dise : Assez.
Le Bourgeois gentilhomme, Acte IV, scène 2