De Palma en Pléiade


De Palma en Pléiade

Body Double Brian de Palma

Peu avares en bonnes idées, les éditions Carlotta inaugurent une nouvelle collection de magnifiques coffrets à tirages limités comportant un film accompagné d’un ouvrage de 200 pages avec des photos, des documents d’archives, etc. Pour inaugurer une série que l’on espère belle et longue, l’éditeur nous propose de revoir le Body double de Brian de Palma. 16e long-métrage de Brian de Palma, Body double ne compte pas parmi ses œuvres les plus réussies. Et pourtant, malgré le poids des années et un scénario un poil tiré par les cheveux, ce film mérite d’être vu et revu pour sept raisons. Les voici :

1- Pour Hitchcock

Jamais, si ce n’est peut-être dans Pulsions, Brian de Palma n’avait rendu un hommage aussi explicite à son maître Alfred. L’argument de départ, avec son héros qui reluque sa belle voisine exhibitionniste à l’aide d’un télescope et qui assiste à son assassinat, rappelle bien évidemment Fenêtre sur cour. Mais Body double est avant tout un remake à peine déguisé de Vertigo. Comme Scottie (James Stewart), Jake Scully (on notera la similitude des patronymes) souffre d’un handicap et tombe amoureux d’une image. Dans les deux cas, il est également question de manipulation, d’une femme au double visage et d’une scène traumatique qui se répète. Quand Scully se met à suivre sa belle voisine, le thème musical composé par Pino Donaggio rappelle celui de Bernard Hermann.

2- Pour le voyeurisme exacerbé du film

Tout le film est construit sur cette notion de voyeurisme. Scully utilise une longue-vue très phallique pour jouir de l’image de sa voisine. Brian de Palma construit sa mise en scène autour de ces jeux de regards et assigne clairement la place de voyeur au spectateur. Lors de la filature, notre héros parvient à reluquer celle qu’il a suivi pendant qu’elle essaie une culotte dans une cabine d’essayage. Comme Hitchcock, il s’agit de rendre coupable le spectateur qui se contente de jouir en regardant et qui, par là, a toutes les chances de se faire berner par des images manipulables et fausses. Comme l’époque a changé, De Palma va plus loin et pousse ce voyeurisme jusqu’à sa logique ultime en nous faisant pénétrer dans les milieux du porno.

3- Pour la réflexion sur l’image et le cinéma

Ce thème du voyeurisme indique clairement que Body double est avant tout une réflexion sur l’image. Comme toujours chez De Palma, l’image n’est plus « innocente » et celles qui ouvrent ses films témoignent souvent de cette perte d’innocence : les premières règles de Carrie dans le film éponyme, les scènes de viol (Pulsions, Outrages…) ou encore la découverte de sa femme au lit avec un autre homme comme ici. L’image est donc trompeuse et c’est sans doute pour cela que le cinéaste nous plonge dans les milieux du cinéma. Scully est un acteur de série B et tout ce qu’il vit est exactement ce que pourrait vivre un simple « spectateur » de films. Comme chez Hitchcock, il s’en sort en devenant lui-même « acteur » et en surmontant sa névrose.

4- Pour la dernière scène du film

Elle arrive alors que défile le générique de fin et résume à elle seule tous les enjeux du film. On y voit l’équipe du film dans lequel tourne Scully préparer un raccord qui permettra à une « doublure corps » de remplacer la vedette pour les gros plans sur sa poitrine. De Palma démonte toute la machinerie du cinéma et le mensonge qui consiste à faire croire qu’une réalité va advenir parce qu’on accole deux plans ensemble. C’est dans ce raccord entre deux plans hétérogènes (deux femmes qui donnent l’impression de n’en faire qu’une) que va se nicher une possible manipulation et « la trahison des images » pour reprendre le titre d’une toile de Magritte. C’est aussi un parfait résumé de l’intrigue : celle d’un spectateur qui se laisse prendre au piège d’une image mise en scène… Le cinéphile appréciera également le clin d’œil que le maître s’adresse à lui-même puisque cette scène de douche renvoie bien évidemment à la scène d’ouverture de Pulsions. Ce n’est plus un secret pour personne mais ce n’est malheureusement pas Angie Dickinson qui exhibe son corps dans ce film mais bel et bien une doublure…

5- Pour le maniérisme de Brian de Palma.

L’image étant trompeuse et De Palma arrivant après la mort d’Hollywood et des grands genres, il ne lui reste plus qu’à faire avec les films d’Hitchcock ce que Sergio Leone a fait avec le western : en retenir des stéréotypes, des images « déjà-vues » et leur offrir un enterrement de première classe. C’est ce type de mise en scène que l’on peut qualifier de « maniériste » et le cinéaste s’en donne à cœur joie en dilatant le temps et en faisant de chaque séquence des morceaux de bravoure du point de vue de la mise en scène. A ce titre, l’extraordinaire séquence de filature est un grand moment du film. De Palma relit à sa manière les fameuses scènes de filatures hitchcockiennes (Vertigo, bien sûr, mais également Le crime était presque parfait) et les redéploie grâce à des plans-séquences incroyablement virtuoses, en jouant sur la pure fascination de l’image. Comme le prouve ce court instant où une équipe de cinéma se reflète dans un miroir, toute la mise en scène du cinéaste est construite sur cette idée de reflet, de mise en abyme de scènes déjà vues ailleurs.

6- Pour les années 80

Body double nous permet de mesurer à quel point les années 80 furent des années de mauvais goût sans limite. Les coiffures et les habits des personnages prêtent volontiers à sourire et les amateurs de kitsch se réjouiront d’apercevoir dans un petit rôle le comédien Lane Davies, plus connu pour son rôle de Mason Capwell dans Santa Barbara ! En revanche, il y a des limites à tout et même au mauvais goût : il faut prévoir que vos oreilles saigneront une fois de plus en entendant le Relax de Frankie goes to Hollywood lors de la scène tournée sur un plateau du film porno dont Holly (Mélanie Griffith) est la vedette…

7- Pour Mélanie Griffith

Pour ses tenues improbables (jupe en cuir noir, body panthère…), sa poitrine généreusement exhibée, son tatouage sur les fesses et ses déhanchés sexy. Avec sa coupe courte de blonde peroxydée, elle rappelle bien entendu Kim Novak dans Vertigo. Mais n’oublions pas que l’actrice est la fille de Tippi Hedren, l’héroïne de Pas de printemps pour Marnie et des Oiseaux. La boucle hitchcockienne est bouclée !

Body double (1984) de Brian de Palma avec Craig Wasson, Mélanie Griffith. (Editions Carlotta Films)



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Alexandre Lacroix, plongeur sous-marin de la webmodernité
Article suivant Mes haïkus visuels: Donald Trump, Péguy, Louise Brooks, Patrick De Clerck…
est cinéphile. Il tient le blog Le journal cinéma du docteur Orlof

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération