Auteurs de trois beaux films inventifs et rigoureux, La Nuit Bengali, une œuvre d’une belle facture classique, Paria et La Blessure, deux opus justes et sombres sur les êtres en souffrance, et d’un film passionnant (La Question humaine) mais déjà vampirisé par son discours idéologique[1. La Question humaine comparait le travail dans l’entreprise moderne, son organisation et le mal de vivre qui en découle à l’organisation… des camps de concentration.], Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval semblent se perdent dans le naufrage d’un film démonstratif et sans âme, oubliant que le cinéma ne doit pas démontrer, ni par la parole ou les actes, mais montrer, ouvrir une fenêtre sur le monde, donner matière à réflexion.
Low life est un film ampoulé, hautain, prétentieux, étouffé par son ambition même. Il prend comme figure tutélaire deux des plus grands chefs d’œuvre du cinéma : Vaudou de Jacques Tourneur et Le Diable probablement de Robert Bresson, sans jamais atteindre la grandeur politique et la sombre beauté poétique de ces deux modèles. Le film non dénué de quelques belles fulgurances – Nicolas Klotz étant un grand filmeur – tente dans notre France contemporaine, celle du sarkozysme honni, de nous raconter l’histoire de quelques jeunes gens plus ou moins artistes et bohèmes, ne travaillant jamais, vivant dans un appartement cossu (un squat probablement). Il y a là une jeune demoiselle un peu photographe, Carmen qui se meurt d’amour pour un poète sans papier, tragique et ténébreux, Hussain, au grand désespoir de son ancien ami Charles, un jeune bourgeois au port aristocratique. Leur passion est constamment menacée par une police fascisante qui, sur ordre du Ministère de l’intérieur, expulse les sans-papiers. Confrontée à une étrange série d’accidents s’abattant sur et des civils et des policiers, le ministère public enquête. Ces faits se révèlent être la conséquence d’actes de sorcellerie pratiqués par un groupe organisé de sans-papiers, qui brûlent leurs documents de reconduite à la frontière lors de rituels vaudou, avant de les glisser dans les poches de leurs futures victimes (on reconnaît là une allusion lourde et maladroite au sublime « Vaudou » de Tourneur).
Ici, les acteurs en proie à une logorrhée insupportable et vaine sont les vecteurs déclamatoires du film et de son idéologie post-soixante huitarde. Indignés, ils récitent du Hölderlin et du Alain Badiou et affrontent une police caricaturale à souhait – parfaitement caractérisée par la commissaire inhumaine qui dirige les expulsions, jouée par Hélène Fillières– lors de manifestations pour la défense des sans-papiers. Morceaux choisis : « Pétain reviens, tu as oublié tes chiens », « En 42 j’aurais fait pareil » (sic).
Le film dénué du moindre recul, plombé par son absence d’humour et d’ironie, est régi par une série de poncifs qui laissent pantois. Il semble s’adresser aux jeunes bobos lecteurs des Inrockuptibles. Les acteurs du film jouent des artistes de pacotille et des indignés de salon à mille lieues des jeunes des films de Godard (La chinoise, Week-end) ou de Garrel (Les Amants réguliers) qui incarnent la beauté rageuse de la révolte. On est encore plus loin des œuvres de Bresson, portées par leur détestation du monde de l’argent et servies par le cinéma implacable du grand cinéaste, sa vision du monde où les êtres paraissent mus par le Diable.
Pour tout dire, Low Life est un film péremptoire, affecté, désincarné et intimidant qui n’autorise pas d’autres propos que ceux des cinéastes sur un monde-machine injuste et totalitaire. Un conseil : si la révolte gronde en votre for intérieur, revoyez plutôt l’implacable In girum imus nocte et consumimur igni (Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu) du regretté Guy Debord.
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