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Blues en Picardie


Blues en Picardie

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Un roman de Philippe Lacoche, c’est comme un blues français. Comme un certain bonheur d’être triste,  comme une technique de la mélancolie, comme un art de la nostalgie. Chaque nation a plus ou moins sa façon de vivre cet état intermédiaire, où la rêverie poignante se marie avec le désir sans objet, où le manque lancinant d’on ne sait quoi est au cœur d’une vie qui se transforme en méditation lyrique. Les Portugais ont la saudade, les Roumains le dor, les Anglais le spleen. On ne peut jamais vraiment traduire le mot, comme s’il gardait en lui une part d’indicible.

Un roman de Philippe Lacoche, c’est à la fois de la saudade, du dor, du spleen et encore autre chose. Le dernier, Les matins translucides, ressemblent aux précédents. Philippe Lacoche fait partie de ces écrivains qui écrivent toujours le même livre. On ne voit pas pourquoi on le lui reprocherait. C’est même plutôt bon signe de jouer ses variations autour du même thème, en littérature : demandez à Modiano avec qui Lacoche a plus d’un point commun.

Au cœur des Matins translucides, une ville, une ville picarde au milieu de nulle part. La Picardie, pour Philippe Lacoche, c’est la Provence pour Giono. La naissance de l’Odyssée, la terre d’où jaillit la mythologie personnelle. Rien à voir avec un quelconque régionalisme, ce néo-ethnicisme près de chez vous encouragé par Bruxelles qui n’aime décidément pas les vieux Etats-nations.

La ville picarde de Philippe Lacoche, jamais nommée, est elle-aussi toujours la même, comme le chef-lieu de son passé d’adolescent. C’est une ville où il y eut jadis des usines métallurgiques et un nœud ferroviaire, des cités ouvrières et cheminotes, des passerelles au-dessus des canaux et des rails qui vont se perdre dans l’infini plat d’une plaine qui ne s’arrêtera plus qu’à la mer ou à l’Oural. Est-ce cette sensation d’être comme une île dans le néant qui donne à Philippe Lacoche cette sensibilité exacerbée qui lui fait s’accrocher au moindre signe venu du passé ?

Dans Les matins translucides, c’est un journaliste vieillissant, un localier sentimental qui revient dans la ville un jour d’hiver, un peu par hasard. Enfant, puis jeune homme, il connut une passion amoureuse pour une de ses camarades de classe, Delphine. On était à la fin des années 60 et au début des années 70. Delphine portait des Clarks et un duffle-coat vert bouteille, sa mère était permanente du Parti Communiste. Il y avait aussi un communiste dans la famille du narrateur, l’oncle Charles qui avait fait partie des FTP avant de finir sa vie, sans que l’on sache vraiment pourquoi, dans une cabane au bord d’un étang, à pêcher et à lire l’Huma en attendant la mort.

Le narrateur, Jérôme, lui, voudrait bien savoir ce qui s’est passé au juste. Un règlement de comptes qui aurait mal tourné à la fin de l’Occupation ? Une erreur sur la personne qui aurait valu l’exécution d’un innocent ? Le narrateur se souvient qu’il faudrait se souvenir, ce qui est typique de la nostalgie façon Lacoche. Il y a  un écran en plus entre notre présent et la vérité de notre passé. Jérôme se rappelle des dimanches familiaux quand il avait douze ans. Il se rappelle qu’il n’écoutait pas les conversations entre son père et l’oncle Charles, il se rappelle qu’il aurait dû. Mais il préférait rêvasser sur Delphine, écouter du rock puis en jouer, trainer un peu dans les bistrots, donner un concert avec son groupe dans des MJC improbables où les fesses des filles roulaient sous les jeans Lee Cooper. Ces années-là, Françoise Hardy chante « Comment se dire adieu », ce qui est une vraie question, la seule peut-être qui compte dans une existence. Comment dire adieu aux amours passées, au lolitas des berges de l’Oise,  à la locomotive qui crie dans la nuit, au soleil pâle d’automne sur la façade du HLM où l’on connut sa première fois à la fin des Trente glorieuses.

Philippe Lacoche n’a pas de réponse. Ou plutôt si, la seule réponse, c’est de dire le mieux possible qu’il n’y a pas de réponse. Ce que font avec une élégance inquiète ces Matins translucides.

Les matins translucides, Philippe Lacoche (Ecriture)

*Photo: Sylvestre001.



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