La critique n’a pas trop l’air d’aimer Blonde, le film d’Andrew Dominick qui transforme la vie de Marylin en cauchemar. C’est bien dommage.
J’ai l’impression qu’on a fait un peu partout la fine bouche à propos de Blonde, par exemple Les Inrocks, ce qui est toujours rassurant de la part de cette boussole qui indique le Sud dans à peu près tous les domaines.
C’est dommage parce que c’est tout de même un très grand film. Andrew Dominik avait sans doute l’intention dès le départ de casser le mythe chromé du sex-symbol et sincèrement, c’est une bonne idée tant l’histoire de Norma Jean Baker concentre tout ce que l’industrie du cinéma sauce Hollywood a de plus abject et s’apparente davantage, notamment pour les actrices, à un mix entre l’abattage et l’abattoir. Pour les lecteurs d’Ellroy, ça n’est d’ailleurs pas une nouveauté.
Dominik a donc choisi d’adapter Blonde de Joyce Carol Oates. D’après le souvenir que j’ai du livre, c’est plutôt assez fidèle. Et c’est une bonne idée de se fier aux écrivains qui savent raconter une histoire. Mais bien sûr Oates proposait une interprétation, une intuition, et n’a jamais prétendu à l’exactitude historique. Dominik non plus. Il n’empêche que lorsque j’ai lu Blonde et que j’ai vu le film, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que cette intuition était la bonne.
L’intuition, c’est qu’en ce qui concerne Marylin, on a surtout affaire à une petite fille intelligente et massacrée, dont l’intelligence est une malédiction puisqu’elle va tout comprendre, très vite, et n’arrive jamais longtemps à se mentir: la mère folle, le père absent, le producteur qui te culbute dans la seconde, le jeu avec son image dans une érotisation permanente, épuisante, écoeurante.
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Dans Blonde, on voit bien qu’elle a la conscience constante de la répétition de l’échec mais qu’elle y va quand même. Cela s’appelle la névrose: le plan à trois avec Chaplin Junior et G. Edward Robinson Junior, deux fils à papa désespérés et vaguement gays, a la fraicheur de la jeunesse mais contient en lui-même sa propre fin, l’ex-star du base-ball Di Maggio paternel, amoureux, jaloux comme un latin et qui la cogne par manque de vocabulaire, Arthur Miller, l’exact envers de Di Maggio, touché au coeur par la lucidité de Norma Jean, lectrice de Tchekov qui comprend mieux que lui son « work in progress » mais qui va se laisser effacer alors qu’il aurait fallu s’accrocher pour la sauver.
Le sommet, c’est tout de même Kennedy, et il faut être reconnaissant à Andrew Dominik de nous avoir épargné la scène du « Happy Birthday, mister President », sommet d’hypocrisie de la communication politique, « Vous voyez comme le président est séducteur mais bien sûr on ne vous dira rien explicitement ». Non, la réalité est surement plus proche de ce qu’en dit le film: il était un mauvais coup d’une goujaterie rare voulant se faire sucer par celle qui fait fantasmer tous les Américains mâles rêvant de la même chose.
Je lis ici ou là que le film serait maniériste, avec ses passages du noir et blanc à la couleur, sa stylisation extrême, son baroquisme exagéré. Mais vous voulez quoi, à la fin? Que ce soit filmé comme une série française produite par France 3 Auvergne? Pourquoi vous ne reprochez pas ça au cinéma italo-américain (Coppola, Scorsese, Ferrara) qui fait exactement la même chose?
Andrew Dominik livre tout simplement un objet plastique impeccable avec un superbe travail sur la lumière et le son. S’il y a d’ailleurs une influence consciente ou inconsciente, elle serait à chercher du côté de David Lynch, celui de Blue Velvet, Lost Highway ou Mulholland Drive ce qui pour moi est un compliment, jusqu’à cette musique entêtante de Nick Cave qui rappelle celle du compositeur fétiche de Lynch, Angelo Badalamenti.
Refus du cliché, du pittoresque des fifties, transformation convaincante voire nécessaire d’une mythologie confortable en martyre à la limite du soutenable par la grâce de Ana de Armas, Blonde, c’est un peu tout ça et plus encore.
Blonde, actuellement sur Netflix.