Le film Blonde actuellement disponible sur Netflix n’est pas une biographie fidèle de Marilyn Monroe mais l’adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates qui exploite la vie de la star pour parler de l’Amérique de son époque. Si le roman est brillant, le film met trop l’accent sur l’angoisse pour nous présenter une image complète de cette femme si complexe.
Blonde, de Steven Dominik, disponible sur Netflix depuis le 28 septembre, a provoqué la colère chez nombre d’admirateurs de Marilyn. En effet, cette adaptation de la biographie fictionnelle écrite par Joyce Carol Oates nous montre la face sombre de Marilyn/Norma Jean. Oates s’est intéressée à la faille béante de la star parmi les stars, à cette petite fille à l’enfance fracassée, à cette femme qui fut toujours « cette môme perdue au coeur de ces studios », comme le chante fort justement Nicolas Peyrac. La petite poupée blonde aux cheveux décoiffés, qui subit tant d’outrages avant d’arriver au sommet. Nous sommes loin du glamour Hollywoodien et du poopoopidoo susurré avec sa grâce quasi divine et son sex-appeal inégalé et inégalable.
Bref, on ne souille pas les idoles, les icônes, les saintes sacrifiées à l’autel empoisonné de la gloire. On ne blasphème pas.
Le film n’est donc pas un biopic de Marilyn, et là réside le quiproquo. Je le répète, c’est une adaptation du très beau roman (que je conseille vivement à tous nos lecteurs), de Joyce Carol Oates. Au départ, elle voulait en faire un court récit de 175 pages, il en fait 1400. À travers l’histoire la petite Norma Jean, née à Los Angeles en 1926, d’un père inconnu et d’une mère très instable psychologiquement – pour employer un euphémisme- c’est toute l’Amérique de l’époque qu’Oates nous raconte. Le krach de 29, la bigoterie qui contraste avec les mœurs hollywoodiennes dissolues, mais aussi le pays de tous les possibles et de tous les extrêmes. Norma Jean représente tout cela, une fleur poussée dans une poubelle de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Amérique des « white trash », et qui atteint le firmament. Mais l’engrais était empoisonné dès l’origine. Elle inventa Marilyn Monroe pour s’en sortir, et Marilyn a fini par tuer Norma Jean.
Venons-en au fait. Le film est-il à la hauteur du chef-d’œuvre de Oates ? Je reste mitigée. Il est kaléidoscopique et très esthétisant, il dégage une angoisse comparable à celle que l’on retrouve dans les films de David Lynch. Et paradoxalement, cette angoisse nous éloigne un peu de l’émotion. Peut-être que le réalisateur a choisi ce dispositif pour éviter le misérabilisme, ou l’excès de pathos.
Cependant, les scènes qui montrent Norma Jean enfant, en proie à la folie de Gladys, sa mère, qui conduit, hagarde, à travers Los Angeles en flammes, sa petite fille à ses côtés, terrorisée, sont quasi insoutenables. Gladys finit dans un asile psychiatrique. Et n’en sortit jamais. Cela hanta Marilyn, qui craignait, vers la fin de sa vie, lorsqu’elle carburait aux calmants et aux amphétamines, de subir le même sort.
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La question du père est évidemment centrale. Il n’était qu’une photo, que sa mère lui exhibait en lui disant qu’il était parti à cause d’elle. Il est omniprésent dans tout le film, sous forme de voix off, qui adresse à sa fille des lettres fictives. Chacun sait que ce père fut sa quête infinie, son Graal, et qu’elle appelait ses hommes : daddy. « Mon cœur est à papa / You know the propriétaire. »
On a reproché au réalisateur de ne montrer que l’aspect « victime » de la star, certains ont même fait le rapprochement avec le mouvement metoo. À mon sens, cela n’est pas pertinent. Car Marilyn fut aussi (pas seulement) une victime. De sa mère, des hommes, d’Hollywood, mais aussi d’elle-même.
L’actrice (excellente au demeurant) pleure beaucoup tout le long du film. Elle pleure lorsqu’on se moque d’elle quand elle évoque Dostoievski lors d’un casting, elle pleure lorsque Joe di Maggio, ce macho italien, la rudoie, elle pleure surtout après chacun de ses avortements… Et cela est un crève-cœur. Ne pas avoir enfanté fut, peut-être, le plus grand drame de sa vie. Des plans représentant un fœtus sont d’ailleurs redondants dans le film. Ils sont, à mon sens, inutiles.
Mais elle subit sans rien dire les assauts d’un directeur de casting, et Kennedy qui la force à lui prodiguer une fellation qui la fait vomir… Peut-être la scène la plus glauque du film. C’est aussi un film fait d’humeurs, de sang, de vomi. L’idole brisée en mille morceaux.
Mais, il y eut, heureusement, des éclaircies. Et même des moments de bonheur. Son mariage avec Arthur Miller, qui la respectait. Pour les mettre en valeur, le réalisateur reproduit les images légendaires : Marilyn resplendissante en robe bleue, tenant un bouquet de fleurs, en robe de mariée couleur champagne (elle y tenait beaucoup), batifolant dans l’océan avec le fameux gilet en jacquard beige, cheveux mouillés. Jamais elle ne fut si belle.
Cependant, à mon sens, sa plus belle relation, la plus pure, fut celle, méconnue, qu’elle eut avec le fils Chaplin et l’acteur Edward Robinson. Un « trouple » dit-on aujourd’hui (quel mot affreux). Ils étaient comme des enfants perdus qui s’étaient reconnus, trois jumeaux gémeaux, refusant de grandir.
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Finalement, la vraie réussite du film est d’avoir su montrer la personnalité fragmentée, morcelée, éparpillée de Marilyn. Il existe d’ailleurs un très beau recueil de ses écrits intitulé : « Fragments ».
En effet, elle était la petite semi-orpheline qui bégayait, la femme fatale des Hommes préfèrent les blondes, l’actrice aux deux pieds gauches, comme disait Billy Wilder, (ce qui lui donnait son aspect burlesque si charmant), la femme-enfant, la femme qui adorait la littérature russe. Marilyn était tout cela, un puzzle qu’elle n’a jamais réussi à reconstituer. Comme elle n’a jamais réussi à consoler Norma Jean, à lui rendre sa poupée blonde, qu’elle avait prénommée comme elle et qu’elle perdit dans un incendie.
Et c’est Nicolas Peyrac, encore, qui lui rendit, en chanson, un de ses plus bels hommages : « On disait tout de toi, on en avait tant dit, qu’ils ne surent pas pourquoi tu t’étais endormie, au soleil. »