Blaise Pascal est né voilà 400 ans. Ce génie absolu reste un mystère.
Blaise Pascal rend son âme à Dieu le 19 août 1662, à trente-neuf ans, brûlé par le travail et la foi. On entre dans sa chambre. On découvre des liasses de papiers qu’on n’ose appeler brouillons. Son écriture est quasi illisible. On déchiffre, on utilise des copies, on compare, travail de fourmi, délicat et imparfait. Ses proches proposent le titre de Pensées pour une éventuelle publication. Pour Les Provinciales, qui deviendront un long-seller, il n’existe aucune copie manuscrite des 18 lettres, seulement des plaquettes dont certaines auront des rééditions clandestines et modifiées. Le style de Pascal est cependant unique. Il faudra donc lire ce mathématicien génial en sachant que, jamais, nous ne parviendrons à la restitution entière de ses fulgurances littéraires, touchées par la grâce. Une seule certitude, justement : Pascal fut touché par la grâce. Il mène une vie de patachon, et puis tout à coup, c’est la grande brûlure divine qui le détourne du divertissement permanent.
Croire est raisonnable
Nous sommes le 23 novembre 1654 et le cœur de Pascal s’enflamme entre 10 heures du soir et minuit. Dieu existe, le Christ nous donne la clé universelle du paradis. Ébranlement absolu. La fièvre saisit le dévoyé. Vite, du papier ! Il faut écrire tout cela, frénétiquement, sans relâche, le temps lui est compté, il le pressent, car la passion consume les forces vives comme l’incendie la paille. Il prend une feuille de papier, consigne à sa manière, c’est-à-dire dans son style ardent, cette nuit de feu, qui deviendra « la nuit pascalienne », la glisse dans la doublure de son vêtement. Elle sera là, jusqu’à sa mort, pour rappeler que Dieu, seul, vaut que la vie terrestre soit vécue. Il faut faire le pari de son existence. Pascal parie sur l’éternité. C’est un être raisonnable, au fond.
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Pascal, que dit-il ? Nous sommes mortels, nous faisons tout pour chasser de notre esprit l’insoutenable vérité de notre condition. Nous fuyons la salutaire solitude, notre cœur est « creux et plein d’ordures », nous « sommes un cloaque d’incertitude et d’erreur », nous sommes bouffis d’orgueil, rongés par la paresse, la concupiscence nous égare. Pascal rappelle notre fragilité mais souligne que nous pensons. Et c’est là, précisément, le tour de force de ce savant. Il nous commande de lire la Bible. C’est vital, car nous sommes ignorants des principes de base. Nous sommes sous hypnose permanente. Vérifiez : prenez le métro, promenez-vous dans les rues de la capitale, branchez-vous sur les chaines d’info en continu. Le temps du réveil est venu. Ceux qui vont parier sur l’existence de Dieu, ce sont les athées car, eux, sont des joueurs. Les dévots ne jouent pas, ils sont enfermés dans leurs certitudes idéologiques. Pariez, mais pariez donc. Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien.
Un éternel moderne
Pascal invente en quelque sorte le plus-que-présent, que personne n’utilise. L’homme conjugue à tous les temps, en particulier le futur, mais pas à celui-là. Funeste erreur, nous dit Pascal, car, enfin, nous pourrions être heureux. Hélas, « le présent n’est jamais notre fin. » Pascal ajoute, rigoureux comme le mathématicien qu’il est : « le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »
Nous ne vivons jamais, voilà la vérité. Vous êtes dubitatif ? Pourquoi alors sommes-nous les champions du monde de la consommation d’antidépresseurs ?
La force de ce scientifique hors du commun et de ce chrétien flamboyant aura été d’allier justement raison et foi. Croire est raisonnable. Il n’est ni trop croyant ni trop rationnel. Il se positionne entre ces deux infinis. Il rejette à la fois la superstition et le rationalisme poussés à l’extrême.
Le physicien théoricien ne peut ignorer que la science a conduit à Hiroshima ; comme le religieux ne peut ignorer les tueries de masse au nom de Dieu. Un homme, ça s’empêche, pour reprendre la phrase de Camus. L’absence de conscience ou « le dégoût du monde » ne doivent pas conduire à une décision sanguinaire. Pascal s’adresse à tous les hommes aveugles dans la nuit. Il reste néanmoins chez lui une part insondable de mystère. C’est pour cela que l’intérêt pour son œuvre ne faiblit pas. Il est un éternel moderne.