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Black Sabbath, working class heroes !


Black Sabbath, working class heroes !
Concert de Black Sabbath à Calgary, avril 2014. SIPA. Mike DREW / QMI Agency

Cinquante ans après leurs débuts, les Anglais de Black Sabbath sont enfin reconnus par la critique rock. Moqué et décrié dans les années 1970, Black Sabbath est pourtant l’un des groupes les plus essentiels de l’histoire du rock d’après les pionniers, dont l’influence est palpable dans quantité de groupes et de sous-genres. Evidemment dans le grand ensemble du heavy metal (Iron Maiden, Metallica ou Korn pour citer trois pierres de touche d’un style très divers) ; mais aussi au-delà, dans le rock alternatif (Melvins), particulièrement le « grunge » de Seattle (Alice In Chains ou Soundgarden), et même certains albums de musique électronique (confer Arnaud Rebotini pour « Zone 10 : Pagan Dance Move »). À dire vrai, quel autre grand du rock aura suscité autant de vocations que Black Sabbath ? Les Beatles, sans doute. Mais après ? Le Velvet Underground, peut-être ? Pink Floyd ? Les Clash ?

La fureur au temps des petites fleurs

Le son de Sabbath a été défini dès le premier album éponyme. Lourd, martial, épique et sombre. Première innovation : la basse ronde et soyeuse de Geezer Butler mixée très en avant, chevauchant la batterie agile de Bill Ward. Seconde innovation : les riffs incroyables de Tony Iommi, qui jouait un ton en-dessous en raison d’un accident d’usine. En pleine époque hippie, Black Sabbath jouait un rock furieux, sidérurgique, inspiré par les rudes conditions de vie de la ville de Birmingham dont ses membres étaient natifs. Les origines sociales du quatuor, né dans le quartier populaire d’Aston, n’ont d’ailleurs pas été étrangères à l’ostracisme que le groupe eut à subir, quand le rock anglais était alors un phénomène très londonien, comptant dans ses rangs de nombreux fils de bonnes familles, à l’image des groupes de rock progressif comme Genesis, Soft Machine ou Pink Floyd.

Black Sabbath ne bénéficiait pas de l’aura d’intellectualisme qui collait à la peau des groupes britanniques de la deuxième vague. Le génial guitariste Tony Iommi avait ainsi été à deux doigts, littéralement, d’abandonner la musique après un accident de travail. Tel Iron Man, ce gaucher à l’extrémité de deux doigts de la main droite sectionnés par une presse, s’était fabriqué des prothèses en plastique pour pouvoir poursuivre ses rêves. Quant au chanteur déjanté Ozzy Osbourne, il sortait de prison après avoir été arrêté pour quelques cambriolages ratés censés améliorer son train de vie modeste d’employé d’abattoir.

Black Sabbath, un monde en voie de disparition

Ces parcours, dignes du « Working class hero » chanté par John Lennon, auront puissamment contribué à l’élaboration d’une architecture musicale inédite, profondément novatrice.

Les cinq premiers albums résumant, à eux seuls, tout le heavy metal. Du proto-stoner de « Masters of Reality », en passant par la production sophistiquée de « Sabbath Bloody Sabbath » et le psychédélisme de « Paranoid », Black Sabbath a posé les bases d’une contre-culture adolescente vivace, plus désabusée que réellement politisée.

Fini le « flower power », place à la réalité des usines enfumées et des pubs sordides. Un monde aujourd’hui en voie de disparition que l’on retrouve dans la fresque Jérusalem d’Alan Moore, sortie l’an passé.

Ozzy Osbourne a beau être devenu une créature burlesque de la téléréalité étatsunienne, dans le fond il est resté ce jeune homme sauvage de Birmingham. Cela se ressent dans le dernier concert qu’ils ont donné sur leurs terres, ultime trace d’une œuvre fondamentale qu’Arte a eu l’intelligence de diffuser en ce début de mois de janvier 2018.

Une manière aussi de lever le voile sur certains clichés qui nuisaient au groupe, notamment l’aura « sataniste » inventée par les maisons de disques, alors que le bassiste Geezer Butler était très croyant et superstitieux. Comment ne pas voir la parenté entre les Mancuniens de Joy Division, adorés de la critique, et Black Sabbath ? Musicalement, il n’y a certes quasiment aucun rapport entre les deux groupes, mais on retrouve chez eux une même hargne ouvrière, une même originalité, une même urgence juvénile. Phénomène étrange que celui de quatre post-adolescents originaires d’un même quartier, capables d’écrire l’histoire de la musique populaire depuis un garage, touchant des millions d’êtres humains avec des compositions dépressogènes, peu aimables de prime abord. Black Sabbath ne sera jamais oublié.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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