Depuis un an, nous entendons partout le slogan « Black Lives Matter » – les vies des Noirs comptent – comme si celles-ci avaient peu de valeur aux yeux des Blancs qui n’hésiteraient pas à les supprimer quand bon leur semble. Le destin tragique de Sasha Johnson, une militante BLM de Londres, souligne l’écart entre cette vision idéologisée des choses et la réalité.
Il émerge parfois des personnalités dont la notoriété subite et le destin surprenant expriment les contradictions d’une époque. Tel est le cas d’une militante « racialisée » londonienne, Sasha Johnson, qui, l’été dernier, a acquis une petite renommée sur les médias sociaux lors des manifestations Black Lives Matter au Royaume-Uni. Des lunettes noires rondes cachant ses jolis yeux de fanatique, un béret de commando sur l’oreille, elle aimait se faire photographier et filmer en uniforme paramilitaire. Adoptant des poses de furie révoltée, elle haranguait des meetings BLM ou participait à des défilés publics de style martial.
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Ce Che Guevara version black, femme et mode exigeait non seulement que la police mette fin à sa politique de contrôles d’individus suspects (en anglais, stop and search, « interpeller et fouiller »), mais aussi que les forces de l’ordre ne soient plus financées par le contribuable. Elle prônait le versement par l’État de réparations aux Noirs sous forme d’exemptions fiscales et appelait à la création d’un registre officiel de racistes sur le modèle du registre national de délinquants sexuels. Elle a organisé des manifestations BLM à Oxford, où elle a été étudiante en « social care » (aide sociale) à l’université Brookes.
Une sacrée activiste
Le 1er août, elle s’est fait bien remarquer au milieu du cortège d’une véritable milice noire qui a défilé à Brixton, banlieue londonienne, pour marquer « Reparations Day », une manifestation contre le racisme et pour le versement de réparations. Elle a rejoué le même numéro lors d’une « Million People March », le 31 août, destinée à protester toujours contre le racisme des Blancs, mais dont le nom rappelle la « Million Man March » de 1995, organisée à Washington par Louis Farrakhan, le chef de la Nation of Islam, une véritable secte anti-blanche, antisémite et homophobe. Enfin, elle est co-fondatrice d’un parti politique, « The Taking The Initiative Party », qui prétend être la première formation politique au Royaume-Uni dirigée uniquement par des Noirs.
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Mme Johnson aimait bien épicer son militantisme d’extrême gauche, assez prévisible, de suggestions de violence armée et d’une éventuelle offensive de guérilla. Elle cultivait une forme d’agressivité aux relents racistes. Dans une vidéo postée sur YouTube (voir ci-dessous) qui met en scène une réunion de militants, on la voit menacer de violence physique un homme qu’elle traite ensuite de « coon », c’est-à-dire de « nègre collabo. » Lors du défilé paramilitaire du 1er août, elle a insulté un policier, conduisant à son arrestation pour le crime de « harcèlement racial aggravé », selon le droit anglais. Elle a comparu devant un tribunal le 7 décembre et son procès aura lieu en avril 2022.
Qui vit par l’épée, périra par l’épée
Or, cette femme de 27 ans, mère de deux enfants, est aujourd’hui en train de lutter pour sa vie après avoir été blessée à la tête par balles vers 3h00 du matin, dimanche 23 mai, lors d’une fête privée dans une maison à Peckham, banlieue du sud de Londres. L’événement, contrevenant aux règles du confinement, n’avait pourtant rien de politique, pas plus que la violence dont elle a été victime. Dans ce qui semble avoir été un règlement de comptes entre bandes criminelles, quatre hommes noirs ont fait irruption dans le jardin où se tenait la fête, blessant un des invités à l’arme blanche et déclenchant une arme à feu qui aurait touché la militante par accident. Certains politiques se sont immédiatement saisis de l’incident pour l’exploiter comme une preuve des dangers encourus par des activistes BLM face aux nombreux racistes qui auraient pour objectif de les éliminer. La députée travailliste, Diane Abbott, très proche de Jeremy Corbyn, a tweeté que « Personne ne devrait payer de leur vie, potentiellement, parce qu’il s’est engagé en faveur de la justice raciale. »
De nombreux titres dans des médias traditionnels, comme la BBC ou CNN, ont annoncé qu’« une défenseuse des égalités » avait été grièvement blessée, comme s’il pouvait y avoir un lien entre le militantisme de Mme Johnson et le crime, et rapportant les affirmations de son parti politique selon lesquelles l’attaque était liée à des menaces de mort antérieures. Le mercredi suivant, la police londonienne a arrêté cinq hommes noirs, grâce à des indices récoltés lors d’une de ces opérations d’« interpolation » et de « fouille » si souvent dénoncées par la victime. Son parti a accusé la police de fabriquer l’histoire d’un crime ne visant pas Mme Johnson exprès. Pourtant, vendredi dernier, les enquêteurs ont inculpé un jeune Noir de 18 ans qui serait responsable de l’acte.
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L’ironie de cet incident déplorable est que la militante n’est pas une victime de violences politiques ou de racisme anti-noir, mais bien plutôt de la petite délinquance. En fait, la plupart des assassinats ne sont pas inter-ethniques – entre Blancs et Noirs – mais intra-ethniques, dans ce cas entre Noirs. Il y a deux tragédies ici : celle d’une jeune mère entre la vie et la mort ; et celle de la vérité, si souvent très différente de celle présentée par une section de la classe politique et des médias qui veulent que le Mal soit toujours la faute de l’homme blanc.