Jadis le quotidien des cimetières était paisible. On venait y chercher la paix et l’éternité, et on les trouvait. Les morts qui avaient des tendances mondaines fréquentaient le Père Lachaise, ceux qui ne vibraient qu’au son des vagues venaient passer la morte saison au cimetière marin de Sète. Les défunts qui aimaient jouer aux petits soldats installaient leur gloire éternelle aux Invalides, tandis que les grands mâles – à qui la Nation est reconnaissante – venaient frimer post-mortem au Panthéon. Oh ossuaires tranquilles ! Oh nécropoles endormies ! Ah cette sérénité des cimetières !
Ah, leur silence majestueux ! Leur paix solennelle… Mais tout ceci c’était avant. On apprend qu’un « QR code » (une sorte de code-barres évolué) vient d’être apposé sur le tombeau d’une des gloires du cimetière de Montauban : Manuel Azana, dernier président de la seconde République espagnole, exilé en France après la victoire de Franco. Les visiteurs, équipés de leur Smartphone pourront ainsi scanner la tombe, pour accéder au site web officiel d’une association qui défend la mémoire du grand homme. Déjà devenus des parcs, des jardins, des espaces urbains, où les badauds traînent leur morgue à proximité des croque-morts goguenards, les cimetières deviendront bientôt de vastes complexes ludo-éducatifs © dans lesquels le moderne se baladera avec son téléphone en main, bondissant de tombes en tombes, de code-barres en code-barres à la recherche des « métadonnées » qui se cachent sous les pierres tombales… Alors, à la Toussaint, le murmure des sanglots longs est recouvert par les « bip » hystériques de la modernité…
Encore une péripétie, parmi tant d’autres, qui ne donne vraiment pas envie de mourir…
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