Marisol Touraine, dans son projet de loi santé présenté mercredi a décidé de s’attaquer au binge-drinking. Initiative respectable, étant donné les dégâts directs et collatéraux que peut engendrer la surconsommation d’alcool chez les jeunes.
Pourtant, comme dans tous les domaines à réformer, c’est par le petit bout du goulot que l’on prend le problème. Ces mesurettes isolées -fussent-elles appliquées, ce qui est déjà une gageure- dispensent une fois encore d’envisager la question dans sa globalité.
En effet, peut-on isoler le binge drinking de la necknomination[1. Nomination pour un défi ; en l’occurrence concernant l’alcool.] qui compte déjà quelques victimes à son actif ? Et séparer cette dernière des pratiques de bizutages, qui entrainent, elles aussi une alcoolisation hors norme et des comportements préoccupants. Ces cérémonies d’un goût parfois douteux apportent chaque année, malgré la loi, leur lot de plaignants, parfois de victimes. Peut-on oublier de rapprocher ces pratiques du « mamading[2. De l’espagnol mamada : acte sexuel – le mamading désigne la pratique de fellations en série en échange de boissons gratuites.] » que l’on a déploré cet été dans des boites Majorquines ? Ou encore des cas de viols dans les universités qui ont fait l’objet de lois récentes aux Etats-Unis et de formations sur le consentement mutuel en Angleterre.
Tous ces problèmes de comportements, de violence, d’irrespect de soi et de l’autre peuvent-ils être pris isolément ? La jeune génération, par delà les frontières, est-elle plus déraisonnable que les précédentes ? Quel est le rôle des réseaux, multiplicateurs d’amis potentiels, dans ces attitudes imprudentes ?
Toutes les conduites évoquées ci-dessus prennent leur source dans la même motivation, omniprésente chez les jeunes gens : appartenir.
Nourris à la télé-réalité, aux images violentes et dégradantes tous médias confondus et sans aucune protection, aux jeux vidéos dont certains font l’apologie de l’obscénité, aux défis sur Youtube, au happy slapping, aux biffles ou autres happenings sympathiques en open bar sur les réseaux, scrutés en permanence par des centaines de curieux qui ne sont en rien des relations, encore moins des amis, ces jeunes gens n’ont d’autre choix de que montrer ce dont ils sont capables.
En être ou n’en pas être, là est la question.
Si tu ne fais pas partie d’un groupe, tu es un no-live. Certains suicides d’adolescents en ont fourni la preuve récemment en Angleterre ou ailleurs. Ne pas s’intégrer à un groupe, ou pire, en être la risée est la déchéance suprême.
Hier, le no-live vivait caché. On le savait un peu reclus, on le moquait à l’occasion, mais on le laissait à sa solitude. Il n’était pas stigmatisé, ni montré du doigt jusque chez lui comme il peut l’être aujourd’hui par le réseau. Big brother is watching you, jusque dans ta chambre….
Il n’y a pas si longtemps, quand un enfant confessait une connerie soufflée par un copain, on le fustigeait d’un « Et alors, si on te disait de sauter par la fenêtre, tu sauterais par la fenêtre ? ». Autrefois le jeu « oser ou vérité » qui entraînait quelques lourdeurs regrettables était un entre-soi intime avec des amis de chair et d’os. Perdre la face était une notion du levant qui paraissait hors de notre champ. Or c’est aujourd’hui le drame de certains ados surconnectés. N’y a-t-il pas un point commun entre la jeune fille qui refuse de retourner à l’école, ou tente de mettre fin à ses jours, parce qu’elle a « perdu la face » en se mettant son réseau Facebook à dos, et le ou la moins jeune qui ne peut se soustraire à un jeu d’alcool ou à un concours de fellation pour rester dans le mouv ?
Le respect de soi et de son corps, en ce qu’on lui inflige –qu’il s’agisse de cuite, de violence ou de brutalité sexuelle- a déserté le champ de l’intime. L’intériorité est une richesse qui n’évoque plus rien chez beaucoup de jeunes gens. Car chacun doit à chacun sa vie, son œuvre, ses rêves, ses photos… pourquoi pas son corps ? Les jeunes qui ne boivent ni ne s’exposent doivent justifier leur comportement auprès des autres et non le contraire. Et la force de caractère que cela suppose explique qu’ils soient en minorité[3. Selon une étude menée par les mutuelles étudiantes en 2013, 66,7% des étudiants sont des buveurs.].
Cette évolution s’inscrit dans celle, plus générale, d’une société qui ne protège plus ses enfants et qui laisse volontairement la i-relation prendre le pas sur le lien réel, fait d’échanges et de transmission. À l’abri derrière leur écran qui paradoxalement peut les détruire tant il met de distance entre eux et la réalité, les jeunes ont parfois l’illusion de vivre dans un jeu. La beuverie express est un jeu : alors jouons !
Une énième loi ne changera rien à la « cuite express », d’abord parce qu’elle ne sera jamais appliquée –avez-vous déjà vu un contrevenant à la crotte de chien, à l’interdiction du port du voile, ou à la cigarette se faire verbaliser ?-. Elle ne changera rien, surtout, parce qu’elle ne considère pas l’origine du problème qui dépasse largement celui de la sanction.
En matière de comportement humain, l’Etat ne peut pas tout redresser…
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