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Binationalité, un débat politique légitime

Jordan Bardella veut interdire aux Français ayant une autre nationalité d’occuper les emplois sensibles


Binationalité, un débat politique légitime
Lors d'un débat sur TF1, le Premier ministre Gabriel Attal a reproché à Jordan Bardella d'avoir une collaboratrice franco-russe au parlement européen, 25 juin 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

La France n’a pas que des amis, rappelle Céline Pina


En France, la proposition d’interdire la binationalité pour l’occupation des postes de représentation politique ou certains postes stratégiques fait scandale. Pourtant cette proposition est tout à fait cohérente et est loin d’être un marqueur de xénophobie. Elle est au contraire liée à une haute idée des exigences de la démocratie et du devoir du citoyen.

D’ailleurs, nombre de démocraties proches de nous interdisent ou limitent la double nationalité. C’est le cas de l’Ukraine, des Pays-Bas, de l’Autriche, de l’Estonie, de la Bulgarie, de l’Espagne, de la Norvège, de la Lettonie et la Lituanie, ou encore de l’Allemagne…

Ces interdictions ou limitations ne sont pas la marque de la xénophobie mais une exigence de clarté dans l’engagement citoyen. Etre français, ce n’est pas une créance permettant de tirer des avantages financiers et sociaux de sa nationalité. La citoyenneté est, en Occident, un engagement civilisationnel.

Nos appartenances ne sont pas basées sur la religion ou l’ethnie mais sur le partage de principes et idéaux qui se traduisent en droit. Ces principes et idéaux sont l’armature de notre société et ils se traduisent très concrètement : c’est l’affirmation de l’égalité en droit au-delà des différences de sexe, race, religion ou philosophie, c’est la défense des libertés publiques, c’est la laïcité. Etre citoyen c’est adhérer à ces principes et travailler à leur effectivité et à leur garantie.

Double fidélité

Le peut-on quand la double nationalité vous amène à appartenir à des sphères politiques dont les valeurs sont frontalement opposées ?

Autre point, que se passe-t-il en cas de guerre quand vous appartenez à deux univers qui s’affrontent. Où va votre loyauté ? À qui et à quoi êtes-vous fidèles ? Quels principes et idéaux allez-vous servir? Qui allez-vous protéger, pour qui irez-vous combattre ?

Dans le premier cas, que défend quelqu’un qui est binational et appartient à un pays européen et à un pays musulman par exemple ? Dans ces pays, l’égalité en droit n’existe pas, elle est refusée à raison du sexe (infériorisation des femmes) et de la religion (statut de sous-citoyen via la dhimmisation). Cette personne croit-elle en l’égalité entre les êtres humains ou est-elle favorable à la domination d’un sexe sur l’autre ? Portera-t-elle haut les libertés publiques ou les sapera-t-elle pour faire prévaloir son dogme religieux ? Que défendra-t-elle si elle arrive au pouvoir ?

La question n’est pas absurde. En Belgique, où les islamistes ont infiltré les partis politiques de gauche, des coups sont portés contre l’État de droit pour favoriser la logique de la charia, ces nouveaux élus n’ayant aucun lien avec la culture démocratique et servant l’idéologie islamiste. Là, l’entrisme est manifeste, mais il n’en reste pas moins qu’une personne ayant fait allégeance à des systèmes contradictoires et opposés ne puisse incarner l’intérêt général : elle n’est pas claire dans son système de valeurs, ambiguë dans ses engagements, en contradiction flagrante dans ses allégeances, elle ne peut donc représenter personne. Dans le cas d’un ministre ou d’un député par exemple, cet aspect de la problématique est déterminant.

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Regardons ce qui se passe concrètement avec le cas Rima Hassan. Cette femme ne représente pas les Français mais est là pour porter la voix de la Palestine, version Hamas. Elle le dit très clairement et se présente elle-même comme l’incarnation d’un lobby étranger. Elle est de surcroit en lien avec des représentants du terrorisme islamiste. En quoi est-elle légitime pour représenter notre pays? Et en cas de tensions avec le Hezbollah, la Syrie, le Hamas, de quel pays, territoire ou idéal défendrait-elle les intérêts ? Certes, tous les élus ne sont pas comme cette personne, mais le doute que cette double fidélité implique et les tensions qu’elles génèrent sont problématiques.

Lorsque les systèmes convergent et que les principes et idéaux organisant les sociétés se rapprochent, la double appartenance est possible. Mais l’évolution du monde va dans le sens inverse: la logique impérialiste se réveille et la conquête territoriale revient. Le totalitarisme islamiste remet au goût du jour les massacres de masse et les tentatives de déstabilisation des démocraties. Guerre, totalitarisme et terrorisme reviennent en Europe. Les démocraties sont attaquées et une partie de la menace est liée à la puissance des islamistes au cœur des pays européens. Cette menace est endogène, comme l’ont montré la nationalité des auteurs d’attentats. L’impossibilité d’appartenir à deux mondes et à deux espaces de références antagonistes a éclaté au grand jour et a été révélée dans le violent rejet que manifestent les jihadistes et partisans du séparatisme pour le pays dont ils ne considèrent pas comme « d’origine ».

La France n’a pas que des amis

Dans ce cadre, on ne voit guère comment continuer à faire semblant de croire que la double nationalité n’est pas un problème. Surtout quand les tensions s’accroissent tandis que les antagonismes montent.

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Supporters de l’équipe d’Algérie de football, Paris, juillet 2019. Auteurs : Bastien Louvet/SIPA.

Prenons un cas très concret : l’Algérie. Le pays cultive la haine de la France chez ses ressortissants. C’est même un mode de gestion de sa vie politique intérieure. La France est accusée de tous les maux afin de faire oublier la corruption et l’incapacité des élites algériennes comme leur échec à développer un pays pourtant plein d’atouts. Le ressentiment à l’égard de la France devient une caractéristique de cette population. Dans le même temps, chez beaucoup de ressortissants maghrébins, la France est dénigrée et « Français » est même devenu une insulte dans les quartiers islamisés ! En parallèle, l’appartenance aux origines est exaltée. À qui ira dans ce cadre la fidélité d’un Franco-algérien en cas de crise ou d’affrontement ? Comment donner un pouvoir de représentation à des personnes qui pourraient très vite se retrouver en conflit de loyauté au mieux, incapables d’incarner les fondamentaux de ce que nous sommes en tant que peuple au pire ?

Ces questions ne sont pas anecdotiques, elles sont au cœur de nos sociétés politiques. Les traiter par le sentimentalisme, en mode « on me demande de choisir, donc je me sens rejetée dans mon être intime » relève de la victimisation simplette. Les évacuer car elles seraient « amorales » ou « racistes » relève de la manipulation pure. Le débat sur la limitation de la double nationalité est un débat de fond, légitime et il mérite d’être posé.


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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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