On ne remerciera jamais assez l’association des chimistes américains. Grâce à eux, la forte addiction à l’argent qui semble être l’une des caractéristiques les plus étonnamment mortifères du néo-capitalisme en phase terminale vient d’être enfin élucidée.
Pourquoi Madoff ? Pourquoi Kerviel ? Pourquoi les parachutes dorés ? Pourquoi les staukopcheunes ? Pourquoi les annonces simultanées de plans sociaux et de profits record ? Tout cela finalement était aussi mystérieux que l’Atlantide, la part des anges dans les caves de Cognac, le charme d’une contre-rime de Toulet.
Des hommes apparemment normaux ont en effet précipité le monde dans une crise sans précédent en adoptant le cri de ralliement des ouvriers autonomes des usines Fiat pendant les grandes grèves insurrectionnelles de 69 à Turin : « Nous voulons tout ! »
Au début, on croyait que c’était de l’indécence, de la provocation, l’idée d’une lutte des classes poussée à son point d’incandescence orgasmique par une clique de financiers autistes certains de leur impunité, jouissant de leur toute-puissance tels des enchanteurs qui varient les métamorphoses.
On se disait qu’il y avait quelque chose de complètement irrationnel, tellement loin des calculs raisonnables d’Adam Smith ou de Frédéric Bastiat.
On se trompait.
Inutile de lire, désormais, L’Avare de Molière, La maison Nucingen de Balzac, La Curée de Zola, La grosse galette de Dos Passos ou même L’argent de Péguy dont nous avions naguère parlé ici. Les clés ne sont pas dans la littérature.
Ni chez Freud, ni chez Marx d’ailleurs. Vous n’allez tout de même pas croire ces absurdités sur l’équivalence entre fric et pulsion de mort, entre thésaurisation et rétention des excréments ou sur on ne sait quelle accumulation primitive du capital, plus-value, valeur d’échange, caractère fétiche la marchandise et autres billevesées communisantes ou rouges coquecigrues.
Non, l’amour de l’artiche, du flouze, des picaillons, du blé, du pognon, de la thune a une cause bien plus prosaïque comme nous l’expliquent les chimistes américains et leur association qui ne sont pas des têtes folles mais des scientifiques sérieux, des gars qui préféraient potasser la table des éléments de Mendeleïev plutôt que de perdre hâtivement leur pucelage sur la banquette arrière d’une Studebaker Hawk Gran Turismo au bal de fin d’année de leur aillescoule de Boulder (Colorado).
Pendant que leurs copains de promo devenaient tueurs en série ou intellectuels néocons, les chimistes américains, eux, palliaient leur manque de fantaisie par une certaine rigueur et remplaçaient les délires idéologiques par des expériences en laboratoire. Des types rassurants, on vous dit, les chimistes américains.
Imaginons-les, un dimanche matin, quelque part dans la chaleur de l’été louisianais où ne chantera plus le regretté et irremplaçable Mink Deville mort dans l’indifférence médiatique d’un mois d’août 2009, mais c’est une autre histoire. Nos chimistes s’accordent un mint julep, feuillettent les deux kilos de leur journal du dimanche et l’un dit soudain à l’autre :
– Sam, c’est quand même délirant, non, cette frénésie pour les dollars. Les gens sont devenus fous ou quoi ?
– Sincèrement, je ne sais pas, Jack, à croire qu’il y a quelque chose sur les biftons, du beurre de cacahuète ou du sirop d’érable.
Et là, pour rigoler, Sam et Jack passent dans leur labo et commencent à tester des réactifs sur une coupure de cinq.
C’est comme cela, pas autrement, que la vérité apparaît, nue et simple, sortant du puits des interprétations fumeuses pour se révéler dans son évidence scientifique : si les dirigeants de BNP Paribas, pour prendre un exemple parmi d’autres, ont provisionné un milliard d’euros pour verser des bonis à leurs traders, ce n’est pas parce qu’ils sont d’un égoïsme monstrueux, d’une inconséquence blessante ou d’une arrogance stupide, non, c’est tout simplement parce qu’ils sont accros, défoncés, déchirés, explosés par une substance illicite.
On dit que l’argent n’a pas d’odeur. On a bien tort. Sam et Jack, et tous leurs copains de l’association des chimistes américains viennent de publier les résultats d’une enquête très sérieuse. Cela tient en quelques chiffres : 90% des billets américains contiennent des traces de cocaïne allant de 0,006 microgrammes à 1,24 microgrammes soit l’équivalent, comme nous le signalent obligeamment les gazettes, de plus de cinquante grains de sable. Vous croyez être un banquier honnête, qui compte son argent et vous voilà, sans le savoir, à sniffer ligne sur ligne comme un romancier français jet-setter à la mode.
Il faudra s’en souvenir quand le temps de rendre des comptes sera venu. Et penser pour tous ces gens-là qui sont devenus spéculateurs malgré eux à des produits de substitution, un peu comme la méthadone pour l’héroïne.
La nationalisation, par exemple. Avec obligation de soins. Sinon, évidemment, ce sera la taule.
On veut bien être gentil, mais la culture de l’excuse, avec les drogués, c’est un peu facile.
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