Les médias font la gloire de personnalités qui ne le méritent pas toujours. Entre clientélisme et ignorance.
Le terme « gloire » est peut-être excessif. Il va bien pour le titre. Je pourrais parler de célébrités, de ces personnalités connues et médiatisées dans divers secteurs de la vie: politique, culturelle, artistique, judiciaire ou évidemment médiatique.
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Par « fausse » j’entends par là que pour qui les a regardées, écoutées, vues à l’oeuvre, il y a un hiatus considérable entre la lumière superficielle et abusive projetée sur elles et leur réalité concrète. Un gouffre entre leur affichage et ce qu’il en est de leurs mérites objectifs.
Les médias ont une incoercible propension à se tromper sur ce plan parce qu’ils vont systématiquement puiser dans un immense vivier empli par d’innombrables promotions, hyperboles, approximations, clientélisme, flagorneries, et parfois – il faut en convenir – par des vérités et des appréciations fondées.
J’ai en horreur la vanité ; non pas l’affirmation de soi qui est positive, mais l’exhibition de soi, et le refus qu’à cette idolâtrie personnelle se mêle la moindre critique, la plus petite nuance. Ce qui est insupportable, c’est la mise sur le pavois de professionnels au sujet desquels on est réservé. Comme si une injustice se commettait et qu’un aveuglement les gratifiait de ce qu’ils ne méritaient pas.
Nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot
Il convient de distinguer. Il y a la subjectivité de notre goût, nos appétences intimes, notre conception de l’art et de la culture, notre définition de l’intelligence qui certes nous autorisent des discriminations, des hiérarchies, des rejets ou des admirations mais on les sait fondés sur notre seule intuition. Leur gloire nous semble fausse parce que nous ne comprenons pas pourquoi on les a fait sortir à ce point du lot. Notre décret est impérieux et n’a pas besoin d’être justifié, de se justifier. Royal est notre égoïsme, seul maître de ses dilections ou de ses rejets.
J’ai pu choquer par le ressassement à l’encontre de Claire Chazal, personnalité très estimable, mais qui n’a jamais su faire des interviews politiques dans la définition que j’en donne. Je suis apparu sans doute injuste pour certains mais cette perception ne prêtait pas à conséquence : elle n’émanait que de moi et compensait d’une manière infime l’encens médiatiquement et abusivement déversé.
Ainsi quand Eric Neuhoff, avec esprit, écrit que « Isabelle Huppert est la plus mauvaise actrice du monde« , on devine qu’il force le trait et se plaît à jeter le trouble, un peu moins de complaisance et d’adoration dans un monde tout entier dans le ravissement ! Rien ne nous oblige, sur ce terrain où nous avons droit à une autarcie absolue du jugement – qui n’interdit pas d’y mêler des considérations objectives qui viendraient compléter notre perception – à faire amende honorable à quelque moment que ce soit. Si on mesure que là où je suis sévère, un autre pourrait vanter. Il y a des célébrités discutables pour chacun d’entre nous dans la société du divertissement largement entendue. Et nous avons chacun notre humeur, notre empathie ou déplaisir pour nous guider.
Les surestimations médiatiques
C’est autre chose, évidemment, quand dans le milieu professionnel qu’on connaît, on est confronté à des surestimations médiatiques plus ignorantes que perverses. Je les ai souvent relevées, en matière judiciaire, de la part de médias qui confondaient la lumière apparente d’une « grosse » affaire (grosse pour plusieurs raisons) avec une aura qui tomberait mécaniquement sur son titulaire.
Cette dérive, malheureusement, peut sévir de manière interne quand les hiérarchies ont si peu de lucidité qu’elles s’appuient sur des critères biaisés et tombent malheureusement non sur les plus remarquables mais les plus visibles. Ceux qui font du bruit.
Les médias sont coupables, la plupart du temps, de cet exaspérant décalage entre les gloires qu’ils sélectionnent, parfois fausses, rarement justifiées, et la vérité des coulisses, l’objectivité des pratiques et des comportements. Entre ce qu’on vante sans tout savoir et ce qu’on sait sans pouvoir en parler. Rien n’est plus pénible, douloureux, de devoir s’abstenir quand on est au fait, qu’on connaît les ombres et les failles mais que cela n’empêchera pas des portraits configurés sous le soleil éclatant de l’ignorance. Il y a en effet des fausses gloires, des célébrités ridicules à force d’être déconnectées de l’authentique valeur.
L’intelligence négligée
Un ressort expliquant fondamentalement ces simulacres, dont certes on peut se désintéresser, mais je n’ai jamais péché par indifférence, provient des étranges critères avec lesquels les périphériques de l’action, les observateurs de la scène principale, notamment les journalistes, jugent les protagonistes. Je témoigne que dans les débats médiatiques on se retrouve confronté parfois au même constat. L’intelligence est trop négligée, on n’attache pas suffisamment d’importance à l’aptitude ou non à savoir se dégager des poncifs, des banalités tellement incontestables qu’il est inutile de les proférer.
L’intelligence véritable est celle qui ajoute de l’imprévisible, de l’inventif, du nouveau, du non pensé ou du non dit – le contraire du commentaire et de la paraphrase – au socle qui nous est indivis, à notre disposition avec ses vérités toute faites, ses évidences toute mâchées et ses consensus si confortables. L’intelligence est ce qui éclaire autrement un chemin déjà beaucoup battu. Les fausses gloires sont celles dont on s’émerveille et qui jouissent d’être traitées pour ce qu’elles ne sont pas.
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Les vraies, les célébrités devant lesquelles on s’incline ont pour dénominateur commun d’échapper profondément à l’arbitraire médiatique, d’être promues et vantées par le citoyen, aimées par le peuple. Un Jean-Jacques Goldman durablement au faîte en est le meilleur exemple.
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