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Le français est pour tout le monde…

Le billet de Philippe Bilger


Le français est pour tout le monde…
D.R.

Le président de la République a inauguré le 30 octobre, à Villers-Cotterêts, la Cité internationale de la langue française. Il s’agissait de son grand projet culturel et il a été mené à bien. Était-il vraiment utile ? Un « ciment » de la nation ?


Si on perçoit bien l’importance historique de Villers-Cotterêts pour la langue française, on peut s’interroger sur l’impact positif de la construction de cette Cité en ce qui concerne la qualité du français au quotidien. Comme s’il convenait, grâce au magnifique écrin d’un château du XVIe siècle, de rendre hommage à la langue française avant même d’avoir veillé à sa préservation et à son amélioration. Jean-Marie Rouart, dans une charge qui ne manquait ni de vigueur ni de talent, a dénoncé cette entreprise qui, selon lui, oubliait l’essentiel : le français en péril et l’obligation de la mise en œuvre d’une politique le sauvegardant et le défendant partout où il était attaqué. 300 millions de personnes dans le monde parlent le français et si ce chiffre est en déclin, ce n’est pas seulement à cause de la perte d’influence politique et culturelle de la France. Mais aussi, voire surtout, par le fait qu’au fil du temps les pouvoirs se sont contentés de prendre acte de ce délitement, en acceptant la domination de plus en plus nette d’autres langues sur la nôtre, pourtant si belle et tellement adaptée à tous les genres de l’esprit et de la sensibilité. Dans l’évolution du lien que la France a entretenu avec sa langue, une forme de résignation s’est emparée du pays qui a fini par juger naturelle l’appropriation du bon français par les élites et par s’accommoder de la médiocrité qui aurait été le lot de la majorité des citoyens. Il faudrait d’ailleurs, sur le premier point, être beaucoup plus vigilant et exigeant qu’on ne l’est. Il est en effet effarant de constater qu’au sein des classes qualifiées de supérieures, quel que soit leur champ d’activité dès lors qu’une expression publique est requise, une dégradation insensible s’est produite qui décourage les amoureux du français. Les politiques, les journalistes, les professeurs, les intellectuels, les chroniqueurs, les animateurs ou les artistes – personne n’est plus à l’abri, même dans ces catégories, d’une sorte de négligence, de paresse, de familiarité convenue. On choisit toujours, contre le mot juste, le verbe faussement décontracté, si ce n’est fâché par exemple avec les accords essentiels. Ce n’est pas dérisoire que cette accoutumance à une parole qui se flatte de n’être plus exemplaire. Quand le peuple, lui, n’aspire qu’au contraire. Cette dérive par le haut est très directement responsable de cette médiocrité par le bas. Médiocrité révélée paradoxalement par l’hommage rendu à ceux qui « déclarent leur flamme à la langue française » et qui sont la plupart du temps des étrangers. Et également par le fait qu’on demande pourquoi « les mots fascinent » seulement à des intellectuels, essayistes et Académiciens. Comme si le français n’était pas pour tout le monde. Comme si notre obsession ne devrait pas être prioritairement de nous pencher sur la multitude des amateurs qui sont conduits par leur fonction, leurs activités sportives, leurs prestations médiatiques et artistiques, à intervenir dans l’espace public en usant d’un verbe pas trop déshonorant.

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Langue française à Villers-Cotterêts: vous reprendrez bien quelques lieux communs…

Il y a dans l’indifférence à l’égard de ceux qui maltraitent sans le savoir la pureté de la langue, une touche de mépris, comme si l’apanage d’un français de qualité était le dernier luxe restant aux privilégiés. Pourtant, rien n’est plus exaltant que d’offrir cette démocratie d’un verbe correct, d’une oralité estimable, à la multitude de ces citoyens émerveillés de découvrir qu’ils peuvent eux aussi faire d’une langue banalement morte une langue vivante. Le français ne doit plus être un privilège mais une chance pour tous. À chacun sa Cité.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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