Condamné en appel à un an de prison ferme, l’ancien président crie à l’injustice. Il semble pourtant que la décision des juges soit conforme au droit, soutient notre chroniqueur Philippe Bilger.
Depuis l’arrêt de condamnation de Nicolas Sarkozy, de Thierry Herzog et de Gilbert Azibert qui ont formé un pourvoi en cassation, la dispute devient à ce point caricaturale qu’on ne peut la traiter qu’avec ironie. En gros, ceux qui savent sont qualifiés de malveillants et ceux qui ne connaissent pas la réalité judiciaire se parent du sceau de l’objectivité.
Avis péremptoires
À supposer que je sois inspiré par une hostilité systématique à l’encontre de Nicolas Sarkozy – ce qui est absurde quand on se penche sur mon parcours et beaucoup de mes prises de position – et qu’elle altérerait la lucidité de mon appréciation sur lui, je ne vois pas en quoi elle serait plus nuisible que l’inconditionnalité obligatoire dont certains le font bénéficier.
J’ajoute que sans tomber dans le dogmatisme ni me pousser du col, il me semble que je suis peut-être un peu plus à même d’appréhender un arrêt, les infractions qui sont concernées et les processus de décision et d’élaboration des sanctions que la multitude des citoyens, journalistes, politiques ou autres qui n’hésitent pas à formuler des avis péremptoires dans une matière qu’au mieux ils maîtrisent mal, au pire ils méconnaissent totalement. Par exemple, il paraît qu’Alain Duhamel considère que la sanction est disproportionnée. Mais d’où tient-il cette conviction, cette intuition, sinon de sa subjectivité qui ne fait pas le poids face aux collégialités et longues délibérations ?
Ce qui permet d’emblée d’exclure des controverses qui ont suivi cet arrêt de condamnation – comme n’étant pas légitimes ni fiables – les catégories de gens qui pour l’une détestent tellement Nicolas Sarkozy que l’arrêt est perçu comme pas assez sévère et pour l’autre sont si enthousiastes de lui et de sa cause que la relaxe leur serait apparue évidente. On comprend bien qu’il y a là deux approches antagonistes, absolument contrastées, qui devraient interdire, par une sorte de sagesse personnelle, aux uns et aux autres de se poser comme des juges des juges, du jugement de première instance et de l’arrêt d’appel.
La tarte à la crème de « l’acharnement » des juges…
Si on admet ce constat, on est renvoyé naturellement, dans notre démocratie et si on éprouve encore un respect au moins minimal pour nos institutions, à faire confiance à la Justice qui, quoi qu’on en dise et malgré les humeurs et les aigreurs citoyennes de telle ou telle personnalité, est en l’occurrence le seul service public, dans son registre pénal, qui connaît le dossier, n’est pas suspect de partialité, bénéficie d’une collégialité et de multiples recours. Sauf à valider cette absurdité non seulement offensante mais fausse judiciairement que tous les magistrats auraient été animés par une haine unique et solidaire à l’encontre de l’ancien président et qu’ils auraient ainsi voulu sa perte, alors que par ailleurs il n’est plus une cible sur quelque plan que ce soit.
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On peut se gausser mais la multitude des regards posés sur cette affaire – elle n’est pas dérisoire, tout ce qui est transgressif commis par un président de la République ou un ancien président est important – légitime le point de vue de ceux qui ne critiquent ni n’approuvent mais prennent acte. Ce qui est mon cas.
La différence sensible, pour me faire bien comprendre, que j’ai avec mon ami Pascal Praud (CNews) est que demain, si Nicolas Sarkozy est relaxé dans d’autres procédures qui le concernent, j’en prendrai acte de la même manière tandis que lui, j’en suis sûr, exultera. Et je n’irai pas le lui reprocher à condition qu’il ne fasse pas passer sa bienveillance systématique pour une lucidité dans l’analyse judiciaire.
Au risque de continuer à choquer, puisque j’ai l’impression que plus Nicolas Sarkozy a été impliqué dans des procédures, plus il a été loué, pour ma part j’estime un peu déplacée, au regard de ce passé et peut-être de ce futur, l’image virginale qu’on ne cesse pas de dresser du parcours politique et judiciaire de Nicolas Sarkozy. Il n’est pas indifférent qu’il y ait à son encontre tant d’enquêtes, tant d’instructions. Qui, pour certaines ayant abouti à des condamnations, suscitent de la part de l’ancien président toujours la même lassante dénonciation : présomption d’innocence, acharnement des juges, violation de l’état de droit. Au fil du temps, forcément elle s’émousse pour ne pas dire qu’elle ne convainc plus personne.
… et du désastre de la justice française
J’ajoute, pour répondre à un argument ressassé qui ne vaut rien, qu’on n’invoquera pas avec succès un acharnement obsessionnel de la Justice à l’encontre de Nicolas Sarkozy puisque ce n’est pas elle qui invente par malfaisance les procédures, elles naissent du réel, des pratiques présidentielles ou ministérielles, parfois elles aboutissent à des renvois, parfois non. Ce qui est normal et relève de l’Etat de droit. Comment ose-t-on quand on a été quelques mois magistrat pour devenir ensuite avocat et être un auteur loué, soutenir que cette affaire Sarkozy est un désastre pour la Justice française ? Comme l’a fait Hervé Lehman dans Le Figaro.
À considérer l’ensemble des réactions qui ont suivi cet arrêt de condamnation, pas encore définitif, je constate comme un devoir d’ignorance pour défendre judiciairement Nicolas Sarkozy et le triste privilège d’avoir à se justifier quand on a la faiblesse de connaître un peu ce dont on parle. L’ignorance engagée a droit à la parole mais elle ne doit pas en abuser.
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