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Bilan des émeutes urbaines de 2023 : le pire est-il devant nous ?

Il faut que l'Etat français se prépare aux prochaines émeutes


Bilan des émeutes urbaines de 2023 : le pire est-il devant nous ?
Tag après les émeutes à Marseille, le 3 juillet 2023. SOPA Images/SIPA

Cet été, la « parenthèse enchantée » des JO ainsi que les scènes de violence outre-Manche ont fait oublier les émeutes de l’année dernière en France consécutives à la mort de Nahel Merzouk. Pourtant, le gouvernement tarde à tirer un vrai bilan de ces événements passés qui risquent de se reproduire à l’avenir si l’Etat ne prend pas de contremesures dès maintenant. Analyse.


Avec les émeutes au Royaume-Uni, nombreux sont ceux qui ont fait le lien avec les émeutes de l’été 2023. Or, une telle comparaison est inopérante. Les émeutiers français sont, pour plus de la moitié, mineurs et surtout n’ont aucune revendication politique, tandis que les émeutiers britanniques justifiaient leur action injustifiable par le choc migratoire. En effet, les 4 164 émeutiers français ont invoqué des motifs divers tels que « l’influence du groupe » (41%) la « curiosité » (29%) ou la « recherche d’adrénaline » (23%). Seulement, ces profils « d’émeutiers enfantins durement punis par la justice » constituent une communication gouvernementale masquant la réalité : le pire est à venir.

Vers des émeutes à caractère insurrectionnel ?

En France, les émeutes tendent de plus en plus vers une logique insurrectionnelle. La différence entre une émeute et une insurrection réside dans le fait que cette dernière est : (1) organisée autour d’un mode opératoire précis ; (2) contre une autorité explicitement nommée (un gouvernement, une administration) ; et (3) en cherchant à renverser cette autorité. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, une insurrection n’est pas liée à une idéologie ou à un projet politique précis, mais résulte souvent d’un fait de société perçu par les futurs participants comme un acte d’autorité abusive pratiqué par le pouvoir en place, comme des « violences policières » dans l’esprit des émeutiers.  

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Les émeutes urbaines françaises répondent de plus en plus aux codes de l’insurrection. La première vague d’émeutes en 2005 a mis en place un mode opératoire qui sera ensuite toujours appliqué (incendies de voitures, coupe-gorges contre la police dans les quartiers, etc.). Les émeutes de 2007 à Villiers-Le-Bel, moins connues, ont brisé un tabou : les émeutiers sont explicitement prêts à prendre la vie de policiers, puisque pour la première fois ils sont ciblés par des tirs d’armes à feu. Enfin, les émeutes de 2023, ont acté le renversement de l’autorité dans les quartiers. On peut de demander si la police a perdu la guerre des territoires face aux narco-trafiquants puisque même lorsqu’elle peut intervenir, son action n’est pas durable. En effet, après avoir contenu les émeutes, rien n’a structurellement changé dans les quartiers. Exemple emblématique, malgré la gestion des émeutes, l’année 2023 a battu tous les records de 2022 à Marseille : 47 décès sur fond de trafic de stupéfiants, (+42% par rapport à 2022) et 118 blessés, (+174%).

Le pire est devant nous

Si la réponse sécuritaire a assurément été une réussite au regard de l’ampleur et de l’intensité des émeutes de 2023 par rapport à 2005, la réponse judiciaire affiche des premiers résultats positifs. Cela tient en deux raisons. D’abord, la rapidité du jugement, car sur les 4 164 auteurs de violences mis en cause, 3 847 individus ont fait l’objet d’une réponse pénale, soit 92% de jugements, dont 60% en comparution immédiate. Ensuite, le prononcé de la peine, car près de 60 % des majeurs condamnés l’ont été à une peine d’emprisonnement ferme. Un taux bien supérieur au taux de prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme par les tribunaux correctionnels, en moyenne à 38 % en 2022.

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Seulement, ce bilan judiciaire est en trompe l’œil. D’une part, il s’inscrit dans la dérive judiciaire actuelle où le prononcé de peine ne vaut pas son application. En effet, la durée moyenne des peines d’emprisonnement prononcées par les juges contre les émeutiers est de 8,9 mois. Il s’agit de peines où les condamnés n’iront pas en prison puisque bénéficiant automatiquement d’aménagements de peine (bracelets électroniques, semi-liberté ou placement extérieur), à la discrétion du juge d’application des peines. Ainsi, comment pouvons-nous vivre dans une société où des émeutiers peuvent dégrader une école sans aller en prison ?

D’autre part, ce bilan relève de la communication du Gouvernement. En insistant sur la jeunesse des émeutiers et leur primo-délinquance, il a donné une image erronée de leur profil, puisque ces caractéristiques ont surtout été constatées les premières semaines suivant les émeutes. Or, le travail d’enquête judiciaire se poursuit et concerne souvent des personnes connues des services de police. Ainsi, la surreprésentation des primo-délinquants parmi les personnes condamnées pourraient être partiellement relativisée à mesure que les enquêtes concernant les faits les plus graves aboutiront. Ainsi, s’il y a des profils plus expérimentés, alors le pire est à venir car il se pourrait que, comme pour le trafic de drogue, les jeunes émeutiers soient utilisés par des profils plus expérimentés pour constituer des galops d’essai.

Gérer les prochaines émeutes : s’y préparer et reconquérir

Si l’on ne reprend pas le contrôle des quartiers, la question n’est pas tant s’il y aura des émeutes, mais quand. Les narco-trafiquants tiennent de nombreux quartiers parmi les 1 515 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) regroupant 5 millions d’habitants. Ils assurent les fonctions régaliennes d’un État car ils financent par le trafic de drogue (3 milliards de chiffre d’affaires en 2023 selon l’OFDT), mais aussi par d’autres trafics (contrefaçons, armes, êtres humains, etc.), leurs propres dispositifs de sécurité qui leur permettent de décider de qui peut entrer ou non dans le quartier. Ainsi, tant que l’État sera impuissant pour casser ce modèle, les trafiquants pourront utiliser n’importe quel fait divers, tel qu’un refus d’obtempérer, pour favoriser l’embrasement des quartiers.

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Ainsi, il faut se préparer aux prochaines émeutes pour les utiliser comme motif pour reconquérir ces territoires. Or, Emmanuel Macron a commis la même erreur que François Hollande en 2012 sur les quartiers : il a manqué une opportunité pour afficher une volonté politique sans faille. L’ancien président n’avait pas répondu favorablement à l’appel d’élus socialistes et de droite demandant une intervention de l’armée pour restaurer l’ordre après l’explosion des règlements de compte. En refusant, il envoyait le message aux dealers que l’État ne serait pas prêt à tout contre eux. En 2023, Emmanuel Macron aurait pu profiter des émeutes pour déclencher l’état d’urgence territorialisé afin de désarmer les trafiquants via la saisie d’armes, de matériel incendiaire, etc. Désormais, deux priorités doivent être fixées. D’abord, se protéger des prochaines émeutes, en créant une force d’interposition capable de se projeter sur tout ou partie du territoire complémentaire aux forces de sécurité intérieures (FSI), par exemple en mobilisant la réserve opérationnelle. Ensuite, se préparer à la reconquête en décrétant un état d’urgence territorialisé comme en 2005, mais cette fois-ci à titre préventif. Seulement, est-ce que les Français sont prêts aux conséquences collatérales d’un tel programme ? Les habitants des quartiers et les Français ne veulent plus subir la tyrannie des gangs, mais aspirent à un profond changement pour bénéficier à nouveau de l’art de vivre à la française.



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Matthieu Hocque est directeur adjoint des Études du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, spécialiste des politiques publiques. Jérôme Lades est analyste pour le Millénaire.

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