Il suffit de prononcer le nom d’un romancier, Jacques Perret en l’espèce, pour que des liens se créent entre deux inconnus. Pour qu’instantanément, nous partagions le même territoire, le même dessein, les mêmes rêveries, les mêmes outrages, les mêmes éraflures du temps et qu’un compagnonnage se fasse à la tombée de la nuit. La littérature possède de mystérieuses vertus : rapprocher des hommes autour de valeurs communes, le mot a été tellement souillé ces dernières années qu’on peine à l’utiliser. Il s’agit pourtant bien d’une famille d’esprit dont Christian Authier trace les contours dans « De chez nous », essai lyrique, à fleur de peau, de notre patrimoine commun, notre bien le plus sacré. Cette identité nationale que des apprentis-sorciers ont tenté en vain de définir, vibre à chaque page. Cette ode à l’hexagone, sort du cadre, embrase le palais, se prélasse au bord d’une départementale, coule comme l’eau vive et déchire le cœur par tant de justesse désespérée et d’élégance surannée. Authier n’imagine pas notre pays dans un costume étriqué, feu de plancher et visions courtes, sa France a du souffle, du jus, du nerf, de l’emphase et d’indispensables pudeurs. Qu’il est bon enfin de se retrouver chez nous, loin du tumulte marchand, des oukases transfrontaliers, de ces appels indécents à la mondialisation heureuse.
Le poids de la France n’a jamais été aussi léger depuis que nos dirigeants courent vers cet ailleurs standardisé, robotisé, anonyme. Authier exalte notre singularité, ne fait pas la fine bouche, n’est pas de ces petits juges qui réécrivent l’histoire à leur convenance. Pas de mesquineries avec notre beau pays, de calculs de boutiquiers, « de notre histoire, il faut tout prendre, tout assumer, sans sentiment de supériorité ni haine de soi » écrit-il. Authier, preux chevalier avance sans peur et sans reproche. Il dessine une carte du tendre dans une promenade vagabonde, entre lectures et arrêts au zinc, matchs de foot et souvenirs de salles obscures. Son odyssée démarre par l’Appel du 18 juin, il y a bien sûr la figure du Général, la statue du commandeur, mais d’autres visages apparaissent, ceux de Darnand, de l’Armée des ombres, des hommes de La Nueve du capitaine Dronne ou de Marcel Langer, chef de la 35ème brigade des FTP-MOI. De la graine d’insoumission, de l’honneur bafoué, du goût pour l’aventure, du tragique sublimé, c’est ça la France. Les puritains de la ligne claire y perdront leur latin. Mort aux cons ! La France est sinueuse, bravache, superbe et secrète. Comme tous les grands amateurs de sport, Authier s’enflamme pour Séville 82, l’épopée des Verts, la relégation en Deuxième Division de l’OM, il a un faible pour les perdants magnifiques, nos véritables héros.
Son roman national prend les chemins de traverse, les boulevards balisés le mettent mal à l’aise, l’indisposent. La bien-pensance, cette autre forme de l’arrogance, transforme chaque acte de notre quotidien en amertume. La scène où il raconte le difficile envoi de deux bouteilles à La Poste est une expérience vécue par beaucoup d’entre nous. Sentiment d’impuissance et d’écœurement sur ce qu’est devenu le service public. Authier noie alors son chagrin dans des vins qui ne sont pas dénaturés. « Beaucoup boivent pour oublier, je bois pour me souvenir. De la vie d’avant, qui semblait légère et tendre, ouverte à des promesses un peu folâtres » nous confie-t-il. Pour que la vie soit plus douce, il y a les copains, l’amour et les écrivains, ces camarades d’infortune. Des gars de chez nous, qu’ils s’appellent Jacques Perret, Bernard Chapuis, Philippe Lacoche, Stéphane Hoffmann ou l’irremplaçable Blondin, leurs mots sont des oasis de liberté. On vient s’y rafraîchir, s’y enivrer. C’est un joli nom camarade comme le chantait Ferrat, Authier fait assurément partie des nôtres.
De chez nous, Christian Authier, Stock.
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