Seul un travail d’entomologiste permettrait d’analyser l’enchevêtrement de tribus et de clans soudés par des alliances, haines et rivalités. Du reste, si l’on se rappelle que le président Karzaï est lui-même pachtoune, on comprend que ceux-ci ne constituent pas un groupe monolithique. En clair, en Afghanistan et dans les pays voisins, les alliés potentiels ne manquent pas, pour peu que l’on renonce à faire de la morale plutôt que de la politique.
Rien ou presque ne doit être exclu a priori, y compris des alliances avec une ou plusieurs factions des Talibans, à condition, bien sûr, de ne pas s’y jeter naïvement comme les Américains l’ont fait dans les années 1970 et 1980, mais en connaissance de cause. Encore faut-il pour cela se fixer des objectifs modestes, reposant sur des critères pragmatiques plutôt qu’idéologiques – la réduction de la violence plutôt que la « démocratisation ».
Transformer des Etats faillis en entités compatibles avec l’équilibre international est une tâche longue et périlleuse qui exige la maîtrise des règles du jeu local. Les Soviétiques et leurs alliés locaux ont payé cher leur ignorance des réalités du terrain, tout comme les Américains en Irak.
Cependant, ces derniers ont changé de stratégie, et montrent depuis deux ans une certaine habileté manœuvrière sur l’échiquier irakien, tissant des alliances jugées auparavant improbables ou inacceptables[3. L’exemple de la ville irakienne de Falloujah est particulièrement intéressant. Gâtés par le régime de Saddam Hussein et pleins de ressentiments contre les Américains suite à des gaffes meurtrières durant la première guerre du Golfe, les habitants de Falloujah ont fait de leur ville le chef-lieu de la résistance après l’invasion de 2003. Fin 2004, après un long siège, les Américains l’ont prise par force et y laissé en garnison un corps d’armée irakienne dirigé par un général au passé bassiste. Depuis, le niveau de la violence a tellement baissé que début septembre 2008, les derniers soldats américains ont pu quitter la région.]. Ils semblent avoir compris que les véritables « fous de Dieu », peu nombreux, sont instrumentalisés par des groupes et individus qui ont d’autres intérêts et griefs.
Ainsi, plus que des moyens militaires accrus, la crise afghane exige-t-elle un engagement politique fort, tant sur le terrain que dans les pays alliés. La coalition a désespérément besoin d’une instance politique cohérente, capable de mobiliser de nouveaux contributeurs quand certains paraissent flancher, de calmer Islamabad et de se faire respecter à Téhéran et à Moscou. En même temps, il faudra bien que les peuples dont les soldats se battent en Afghanistan (ou ailleurs) réapprennent à supporter le coût de cet engagement. En affaires internationales, à supposer qu’elle ait jamais existé, l’ère des repas gratuits est révolue.
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