Judith Butler, professeur de littérature à Berkeley et championne de la lutte queer, vient d’être élevée à la dignité de docteur honoris causa par l’université de Bordeaux, la ville du vin sombre et viril, à la fois fort et doux, des cannelés gourmands aux rebonds sensuels. Et ce qui rend ce sacre encore plus sacrilège, c’est qu’il s’agit de l’université Michel-de-Montaigne, le sage peu épris de « novelletés » qui écrit : « Le fruit du trouble ne demeure guère a celui qui l’a ému, il bat et brouille l’eau pour d’autre pêcheurs. » Hé oui, le « trouble dans le genre », ou encore « trouble dans le sujet, trouble dans les normes », titre du livre que Fabienne Brugère, professeure (tiens, y aurait-il encore des sexes ?) à Bordeaux III a co-écrit sur Judith Butler , vient battre et brouiller l’eau claire de nos idées simples et droites – c’est de là sans doute que vient le problème − sur la connexion statistiquement pertinente entre la configuration de notre entrecuisse et nos choix de vie .
SEXE ! Ce mot qui claque comme un ordre, tel le « Schnell ! » nazi des superproductions bochophobes de notre enfance, a mauvais genre. Le genre, lui, a mauvais sexe, ou plutôt n’en a plus. Du moins pas de déterminé. Marx écrivait dans le Manifeste que la lutte des classes « finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte ». Les tenants de la guerre des sexes ont choisi le cumul : détruire les deux sexes par une transformation révolutionnaire de la société.
Ce processus est à l’œuvre depuis vingt ans, mais les Français peuvent en trouver la preuve tangible dans les nouveaux manuels de Sciences et vie de la Terre pour classes de première. Si vous voulez que votre ado ait une longueur d’avance en SVT à la rentrée prochaine, ce résumé des principales innovations ne sera pas inutile. Si vous ne comprenez pas tout, c’est sans doute que vous êtes encore un peu rétrograde, mais ne vous inquiétez pas : ça finira par rentrer.
Première leçon : un homme et une femme, c’est has-been
Les bébés ne naissent toujours pas dans les choux, mais pas nécessairement non plus de la fécondation d’un sexe par l’autre. Pourtant, c’était encore marqué dans le programme l’année dernière : un homme, une femme, et hop : un enfant ! Mais il faut oublier. Désormais, quand on est deux femmes et qu’on s’aime, on peut avoir un enfant sans homme. C’est simple : il faut aller en Scandinavie. Internet et une carte bleue suffisent. Le sperme est vendu en ligne et on choisit le donneur anonyme en fonction d’une photo de lui enfant. Bien entendu, on peut aussi avoir un bébé sans femme quand on est deux hommes et qu’on s’aime. Sinon, cela serait une rupture grave de l’égalité. Dans ce cas, le contrat organise la location d’utérus : petit meublé, bail de neuf mois non renouvelable. Pour le moment à l’étranger. Peut-être un jour en ligne ?[access capability= »lire_inedits »]
Deuxième leçon: aimer quelqu’un du même sexe, c’est bien
Si, à l’École primaire, votre enfant a raté le stage de sensibilisation à l’homophobie avec la projection du Baiser de la lune, film qui présente l’avantage d’être à la fois zoophile et homophile (dois-je préciser que je ne fais aucun rapprochement ? sans doute, oui), pas de panique, il y en a aussi dans le secondaire. Rassurez-vous, vos ados applaudiront quand Kevin et Martial s’embrasseront à pleine bouche au fond du car lors d’une sortie scolaire.
Troisième leçon : le sexe est mort, vive le genre !
La gender theory, ça c’est classieux. Pour les non-anglophones élevés par des parents obscurantistes qui leur ont fait faire du latin et du grec, voire par des néo-nazis qui les ont obligés à apprendre l’allemand, gender theory veut dire théorie du genre. Pour l’essentiel, celle-ci repose sur deux avancées scientifiques capitales. La première a été magnifiquement formulée par Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » On doit la seconde à Élisabeth Badinter : « L’un est l’autre. »
Oserai-je rappeler que Brigitte Bardot a donné sa propre formulation, moins scientifique certes, mais plus imagée : « Comme un garçon… moi j’ai un blouson… » C’était dans les temps préhistoriques. La griserie des « garçonnes », conduisant autos et motos, portant pantalons et cheveux courts, pilotant, fumant le cigare et jetant au petit matin leur amant de la veille comme ne le faisaient jadis que les impératrices russes, ne les avait pas conduites à nier le fait aisément constatable, bien que situé un peu loin et en-dessous du cerveau, qu’elles avaient, en lieu et place de l’arme virile, la blessure intime d’où coule chaque mois le sang menstruel. Autrement dit, elles ne cherchaient pas à oublier et à faire oublier qu’elles étaient femmes. Même en moto, même avec un blouson.
Il est vrai que, depuis, la science a remédié à ce constat désolant : comme la grosse dame qu’on montre aux actualités en train d’épouser une autre dame, un homme peut désormais changer de sexe et vice-versa.
Mais ce n’est pas tout. Grâce à la théorie du genre, cette opération coûteuse n’est plus indispensable. Nous voilà enfin délivrés de la biologie, cette science réactionnaire qui accrédite l’idée nauséabonde selon laquelle il y aurait un « donné » naturel, et pas seulement ce « construit » culturel que bâtit de ses mains noires et calleuses le prolétaire socialiste aidé en sous-main par l’intellectuel ouvriériste qui peut ainsi faire oublier la fortune paternelle, la banale situation conjugale et ses mains si blanches de diplômé.
Madame Butler l’a dit : le sexe, c’est dans la tête ! Et ce qui est dans la tête est le produit de l’éducation reçue. Au rancart, les Barbies poitrinues et fessues à cheveux longs et taille de guêpe. Virez-moi ces Rambos à fesses étroites et torse musclé. La coupe « de Haas », le sérieux idoine auront raison des plus agressives féminités. Quant aux ex-futurs machosmachos en puissance, espérons que la privation de pistolets en plastique et de circuits automobiles leur ôtera toute tentation de virilité abusive. Comme ça, dans dix ans, votre fils passera avec succès l’épreuve de « genritude » et il entrera à Sciences Po.[/access]
Cet article est issu de Causeur magazine n ° 41.
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