Comme leurs alliés historiques français, les Ecossais sont devenus des adeptes du vote-sanction qui permet d’exprimer son ras-le-bol à peu de frais. Le 5 mai dernier, ils se sont offert une crise de nerfs qui effraie leur voisin anglais.
En offrant la majorité absolue des sièges du Parlement d’Edimbourg au Scottish National Party, les électeurs écossais ont contraint son leader et nouveau Premier ministre Alex Samond à tenir sa promesse : organiser un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse à l’horizon 2016.
Au passage, ils en ont profité pour décocher de sévères uppercuts aux grands partis britanniques. Traditionnellement travaillistes à tout crin, les Ecossais n’ont pas digéré la dérive centriste-unioniste de Tony Blair et Gordon Brown. Leur incapacité à endiguer le chômage et la violence qui rongent les villes écossaises a aussi lourdement pesé sur la popularité locale du New Labour. Quant aux libéraux-démocrates, qui avaient enregistré une belle percée aux élections nationales de l’an dernier, leur coalition contre-nature avec les Conservateurs de David Cameron les a condamnés à la marginalité écossaise.
Loin d’être un feu isolé, la victoire du SNP prend place dans la longue histoire des rivalités anglo-écossaises. Car c’est peu dire que les Ecossais sont nationalistes et fiers de l’être, construits contre, tout contre l’Anglais, qui le leur rend bien.
Sa Gracieuse Majesté « l’Allemande »
D’ores et déjà, le Royaume Uni bruisse de mille rumeurs alarmistes amplifiées par les tabloïds. La Reine – que Salmond surnomme discrètement « l’Allemande » à cause de ses origines germaniques- n’en dormirait plus la nuit. C’est bien le moins. N’a-t-on pas tout à craindre de ces damned Scots ? Inspirés par le fantôme écartelé de William Wallace[1. William Wallace : Héros légendaire de l’indépendance écossaise immortalisé dans Braveheart par Mel Gibson. Lors de son exécution en 1305, il fut à moitié pendu, éventré puis décapité et découpé en morceaux], ils pourraient faire imploser le Royaume Uni en abolissant les Actes qui ont uni l’Angleterre et l’Ecosse en 1707. Un tel séisme ne manquerait pas de provoquer des répliques en Irlande et au Pats de Galles.
En votant massivement pour le SNP, les Ecossais entendent-ils pour autant couper définitivement le cordon avec Londres ? Rien n’est moins sûr. Les sondages n’accordent que 40% aux scissionnistes et les autres partis locaux, qui n’envisagent pas de quitter formellement le Royaume Uni, se contenteraient volontiers d’une autonomie plus étendue que celle que Tony Blair leur a accordée à contrecœur en 1999.
Surtout, s’ils décident déjà souverainement de leur politique en matière de santé, d’éducation, de culture et de monnaie, les cinq millions d’Ecossais savent qu’ils paieraient l’indépendance au prix fort. Lorsque la sécession était encore dans l’air du temps, Salmond faisait miroiter des lendemains qui chantent à ses compatriotes scottish. Aujourd’hui, la comparaison avec l’Irlande et l’Islande n’est pas très encourageante alors que les économies de ces petits pays comparables à l’Ecosse, naguère prospères et dynamiques, sont en miettes.
L’Europe cherche-t-elle à diviser pour mieux régner ?
À bien y réfléchir, on ne quitte pas le royaume de sa Très Gracieuse Majesté d’un claquement de doigts. Songeons aux conflits économiques qu’engendrerait l’indépendance. Les terres, les forêts et les industries « écossaises » appartiennent aux Anglais. Qui les indemnisera ? Et que faire du pétrole – certes presque épuisé – de la mer du Nord dont le statut juridique et la propriété font l’objet d’âpres discussions ?
Des nationalisations pures et simples équivaudraient à une déclaration de guerre. Or, on imagine d’autant moins les Highlanders ressortir leurs tartans rouges et leurs épées rouillées qu’avec un PIB par habitant de 30% inférieur à la moyenne européenne, ils n’en ont pas les moyens. L’indépendance n’étant pas un gage de prospérité, le sort de l’Ecosse paraît bel et bien scellé.
Une autre capitale européenne a fortement ressenti la secousse du 5 mai. Après avoir théorisé le régionalisme comme la première étape d’un fédéralisme plus ou moins assumé, Bruxelles s’intéresse au plus haut point aux états d’âme des Ecossais. Alors que la construction européenne a toujours reposé sur la coopération interétatique, le spectre de la fragmentation des nations en micros-Etats nous guette.
Au nom du chardon et de la tourbe, la sécession de l’Ecosse concrétiserait la stratégie bruxelloise du « diviser pour mieux régner ». Si cette hypothèse devenait réalité, l’indépendance écossaise serait beaucoup plus que l’indépendance écossaise…
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