Accueil Édition Abonné Avril 2021 Biden relance… la crise de la dette!

Biden relance… la crise de la dette!

Celui qui dépense tout dans la journée, jeûne le soir...


Biden relance… la crise de la dette!
© Soleil

Avec Joe Biden, aux États-Unis, il pleut des dollars. Or, ce déluge qui suit de près d’autres plans de relance risque de susciter davantage d’inflation et de provoquer de catastrophiques avalanches dans la montagne de dettes publiques.


En présentant son projet de soutien de 1 900 milliards de dollars, le 46e président des États-Unis a certes tenu une promesse de campagne, mais sans autre justification que les urgences conjoncturelles. Rien d’original, dira-t-on. Sauf que ledit plan est le quatrième en l’espace d’un an, trois plans Trump ayant été votés à l’unanimité et appliqués en 2020. Et l’importance des sommes, sans précédent, donne le vertige. Cela semble signifier, implicitement, que les relances de l’année écoulée n’ont pas porté leurs fruits.

Or, à la veille de la pandémie, les chiffres de la production et de l’emploi américains étaient plutôt réconfortants. Le chômage avait reculé et, mieux encore, celui des Noirs avait atteint son plus bas niveau. Cela n’empêche pas l’actuelle secrétaire au Trésor, Janet Yellen, de présenter sa panoplie comme un moyen de lutter contre le racisme ! De surcroît, la chute de la production américaine durant l’exercice 2020 a été limitée à 3,6 %, deux fois moins que celle de l’Europe. Il y a là quelque chose qui interpelle le bon sens. Quelles pourraient donc être les cibles de la nouvelle manne du Trésor américain ?

Un keynésianisme caricatural

Premier point : subventionner la consommation des ménages à hauteur de 1 000 milliards, sous la forme d’un chèque de 1 400 dollars distribué selon le niveau des revenus et d’une reconduction des allocations chômage dont 18 millions d’Américains sont tributaires. Subventionnement et non défiscalisation qui aurait été inopérant dans un pays où les particuliers restent très peu imposés. La générosité apparente du plan Biden souligne la nécessité de porter secours aux classes modestes et moyennes américaines victimes d’une relégation depuis quarante ans, à rebours de la promotion dont elles ont bénéficié après-guerre.

Deuxième point, en forme de contrepoint avec les pratiques européennes : 400 milliards de commandes publiques supplémentaires seront réservées aux entreprises locales, un protectionnisme « politiquement correct » qui laisse de côté les scélérates mesures douanières.

Troisième point, les collectivités territoriales seront subventionnées à hauteur de 350 milliards de dollars. On n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Il s’avère que ce sont les États et les villes sous gestion démocrate qui seront les principaux bénéficiaires… et l’on découvre que le clientélisme n’est pas une spécificité française. Les équipes locales du Parti démocrate se sont ingéniées à distribuer des cadeaux à leurs personnels, sous forme d’avantages salariaux et de retraites anticipées. Le plan Biden servira à boucher les trous de la gestion locale démocrate.

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Enfin, 300 milliards de dollars pour soutenir la recherche et le développement. Une mesure vertueuse qui interroge la politique d’investissement et de recherche des entreprises américaines durant toute cette période où elles ont accumulé des bénéfices historiquement élevés. Qu’ont-elles fait de ces bénéfices, qu’ont-elles fait des allègements fiscaux qui leur ont été consentis par les présidents successifs depuis Reagan ? D’où cette question de fond. La nation la plus riche et la plus puissante du monde, résolument attachée au modèle de l’entreprise libre, en est réduite aux expédients d’un keynésianisme qui sent quelque peu le fagot. Les entreprises ne créent-elles plus la richesse ? La vérité se situe-t-elle désormais dans ce keynésianisme caricatural ?

L’Amérique trahie par ses élites

Chinamérique, ont dit certains, pour traduire le pas de deux géopolitique de Pékin et de Washington entre l’arrivée de Bill Clinton et l’arrivée de Donald Trump. Le libre-échange mondial impulsé par la puissance américaine, soutenu par la sphère financière, a immensément profité à l’économie chinoise. Mais cette Chine sous contrôle de la bureaucratie communiste n’a rien inventé. Elle a appliqué le modèle mercantiliste vieux de trois siècles, qui consiste à privilégier des productions locales, en fermant ses frontières aux produits étrangers, hormis les matières premières et les machines non disponibles sur le territoire chinois.

Mais avec ce point singulier que ce sont aussi les entreprises étrangères, aux côtés des entreprises locales, qui bénéficient de ces privilèges. La Chine a revisité le colbertisme avec la complicité des dirigeants économiques occidentaux. Et c’est ainsi qu’une fraction notable du déficit commercial américain résulte de productions américaines réalisées sous pavillon chinois. Et c’est ainsi que l’emploi industriel américain n’a cessé de reculer. Qu’en resterait-il si les États-Unis ne disposaient pas de la plus grande industrie d’armement au monde que financent un budget pléthorique et les achats des pays du golfe Persique ?

Alors qu’il lui faudrait reconstruire des pans entiers de son économie, le plan Biden pratique une forme de dopage en portant la dette publique au montant record de 120 % du PIB.

Malgré ses œillères, Trump l’avait compris : le libre-échange était non pas deux fois gagnant, mais deux fois perdant. Car la délocalisation entraîne plus d’importations et moins d’exportations. On peut lui reprocher cependant son obsession chinoise. Les entreprises américaines se sont délocalisées tous azimuts, dans l’ensemble de l’Asie, au Mexique et au Brésil.

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L’Amérique a été trahie par ses financiers, ses managers, ses journalistes acquis à la cause de la mondialisation. Alors qu’il lui faudrait reconstruire des pans entiers de son économie, le plan Biden pratique une forme de dopage en portant la dette publique au montant record de 120 % du PIB. N’y a-t-il pas un risque à soutenir une consommation qui se portera encore plus sur les produits originaires d’Asie pour creuser un déficit commercial qui, en février 2021, crevait le plafond de 800 milliards de dollars annuels ? À quoi bon stimuler la R&D si les inventions sont réalisées au-delà des mers ?

Inutile et dangereux

Mais voici que, pour la première fois, la politique économique américaine subit les critiques des tenants du néolibéralisme, à commencer par Lawrence Summers. Cet ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton est aussi, et surtout, un gardien du temple néolibéral. Mais cela ne l’empêche pas de voir où le bât blesse. La nouvelle politique budgétaire est, selon lui, la « moins responsable en plus de quarante ans ». Par ses excès, soutient-il, la relance budgétaire va accroître les tensions inflationnistes. D’où le risque d’une « collision entre la politique monétaire généreuse et l’augmentation de la dépense publique » et d’une remontée des taux d’intérêt. Et nous voici ramenés au problème de fond représenté par l’accumulation d’une montagne de dettes privées et publiques : une augmentation des taux de 2 % pourrait à elle seule entraîner une dévalorisation massive des dettes anciennes et un tsunami financier à l’échelle occidentale. C’est ce risque qui obsède Lawrence Summers et quelques autres. L’ombre d’un doute se lève, dans son propre camp, sur les choix économiques du nouveau président.

Avril 2021 – Causeur #89

Article extrait du Magazine Causeur




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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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