Depuis ma jeunesse militante, on m’a toujours répété qu’en politique il ne fallait jamais sous-estimer l’adversaire. J’ai donc fini par le croire. À tort. En période globalement décérébrée, le vrai danger est de surestimer l’adversaire. Donc d’avoir peur de lui mettre des coups de boule. Donc de le laisser faire.
D’accord, l’adversaire est méchant comme une teigne et menteur comme un pénaliste. Et en plus, il est multitâche. Capable de signer le même jour un édito de Libé et de l’Obs, un tweet contre Charlie, un crachat contre Finky, une fatwa contre Lévy.
D’accord, l’adversaire est puissant. Il a open bar tous les matins à la radio d’État. Il complote à Solférino. Il parle dans l’oreillette de Pujadas. Il fait écrire des lois pour ne pas payer sa TVA. Je sais tout ça.
L’adversaire est devenu nigaud
Mais je sais aussi qu’à force d’avoir régné sans trop se fatiguer, l’adversaire, souvent, est devenu nigaud. Prenons un exemple de ces nigauds. Pas n’importe lequel, un modèle de compétition. Il s’appelle Nicolas Cadène. C’est le bras droit de Jean-Louis Bianco à l’Observatoire de la duplicité, pardon de la laïcité. Cet Observatoire, financé à 100 % sur fonds publics et rattaché en théorie à Matignon, s’est ingénié, depuis sa création à ne rien observer du tout.
On y a multiplié les rapports lénifiants du style « RAS, tout va bien pour la laïcité en France ».[access capability= »lire_inedits »] On y a fricoté, au nom de l’« ouverture » avec les personnalités antilaïques les plus douteuses au point de cosigner le 15 novembre 2015, deux jours après le Bataclan, une tribune intitulée « Nous sommes unis » avec les salafistes du CCIF ou le rappeur militant Médine, auteur du fameux et haineux « Don’t laïk ». En clair, depuis leur installation, Bianco et Cadène confondent combat pour la laïcité et lutte contre l’« islamophobie ».
C’est le 6 janvier que la bagarre, jusque-là feutrée, éclate au grand jour. À la veille de la commémoration du massacre de Charlie, Élisabeth Badinter est l’invitée de la matinale de France Inter. Et au lieu de s’en tenir aux banalités d’usage, elle décide de cogner sec. « Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, dit-elle aux journalistes sidérés avant d’ajouter, je ne veux pas qu’on me ferme la bouche avec ça. ». Voilà, comment finit l’émission et commence l’affaire.
Moins d’une heure plus tard, le Nicolas Cadène entre en scène, Smartphone à la main. Le crétin aime faire le malin sur Twitter, c’est même à ça qu’on le reconnaît au XXIe siècle. Voici son tweet : « Quand un travail de pédagogie de trois ans sur la laïcité est détruit par une interview à France Inter d’une personne. À quand un vrai débat clair ? »
Cadène 1 – Badinter 0 ?
Cette « personne » dont parle l’élégant Cadène, c’est Élisabeth Badinter. Et le travail détruit, c’est bien sûr le sien et celui de Bianco. Sans doute pense-t-il qu’on restera sur ce score : Cadène 1 – Badinter 0. Comme dans Gare au gorille, la suite lui prouva que non.
Car aussitôt, d’autre tweets surgissent de partout et de nulle part pour recadrer virilement Cadène et défendre la belle dame qui, justement, a dit qu’on ne lui fermerait pas la bouche. Même Fantasia sur Facebook, idem sur les blogs et une flopée de microsites à trois sous. Ça tire de partout ! Haut les cœurs ! Enough is enough ! Gaffe à ta tête, pas touche à Babeth ! Circonstance aggravante, la quasi-totalité de ces snipers sont des chiens perdus sans collier, surgis des marges brumeuses du PS ou du PC. Sans collier, donc sans laisse, la perspective d’une guerre des gauches ne leur fait même pas peur, même plus peur.
Qui a lancé la charge ? Peut-être Laurent Bouvet, le politiste qui a développé le concept rudement opératif d’« insécurité culturelle », un garçon très présent – et très punchy – sur les réseaux sociaux. Peut-être est-ce la militante socialiste Céline Pina, qui à l’automne dernier se fit connaître en dénonçant la tenue d’un raout salafiste à Pontoise et faillit pour cela être exclue de son parti. Ou peut-être le jeune architecte, Jérôme Olivier Delb, « vigie laïque » à ses heures libres et fin observateur des forfaits de l’Observatoire. Ou encore la féministe Yaël Mellul, dont le site Femme & Libre jouera aussi un rôle décisif pour briser l’omerta sur Cologne…
Une fraternité laïque
Très vite, se constitue autour d’eux une bande bigarrée de joyeuses commères et de Tintin reporters, fraternité falstaffienne de Cadène-clasheurs, tous décidés à purger la querelle idéologique à coup de collectes d’infos et de vannes vachardes. Cette deuxième meute est d’autant plus enragée qu’elle est vexée de ne pas avoir été prem’s. On y retrouve votre serviteur et quelques autres vandales connus des lecteurs de Causeur, dont l’ineffable gaucho-gaulliste franc-comtois David Desgouilles, qui adore se lâcher sur Facebook, où il n’est pas handicapé par son calamiteux accent jurassique.
Deux jours plus tard, cette petite troupe reçoit le soutien involontaire de Bianco himself. Le patron de l’Observatoire, un peu trop sûr de lui, choisit de se solidariser à fond avec Cadène au lieu de laisser griller le fusible. Du coup, notre joyeuse bande passe du mot d’ordre « Cadène démission ! » à « Bianco, démission ! » Bien joué !
Ce soutien irréfléchi à Cadène amène aux insurgés laïques un autre renfort d’importance, volontaire cette fois. Le 11 janvier, on apprend la démission de trois poids lourds de l’Observatoire, le député Jean Glavany, l’influent franc-maçon Patrick Kessel et la sénatrice Françoise Laborde, dont le communiqué meurtrier est titré : « Un petit monsieur qui s’attaque à une grande dame ». Du coup, la presse commence à voir qu’il se passe quelque chose de pas très ordinaire à gauche. Miam !
Galvanisés par cette nouvelle « visibilité », les pistoleros se déchaînent. Et pas seulement sur la Toile. La vieille taupe chère à Tonton Marx continue de creuser et saper, mais montre le bout de son nez au grand air. On interroge les rebelles dans les journaux, on les invite sur les chaînes d’infos pendant que Marianne (tendance Canal historique) et Causeur jettent allègrement de l’huile sur le feu. Et beaucoup de camarades internautes font tourner l’info avec des commentaires du genre « Si on m’avait dit que je relaierais un jour un article de Causeur… » Les lignes bougent, et comme disait le sapeur Mao, une seule étincelle a mis le feu à toute la plaine.
Valls entre dans la mêlée
Ce feu devient impossible à contenir au soir du 18 janvier quand Manuel Valls entre dans la mêlée, et pas à reculons. Lors d’un débat des Amis du CRIF, il critique vertement et nommément Jean-Louis Bianco en usant de mots forts et clairs que Libé qualifie d’« incendiaires ». Toujours bien informé, Libé évoque le rôle des réseaux sociaux dans cet embrasement, mais en dénonçant deux quasi-innocents, Caroline Fourest et Mohamed Sifaoui. Mauvaise pioche, mais peu importe, grâce aux cojones de Manolo, l’affaire est lancée. Comme le dit un des guérilleros de Facebook, pas peu fier : « Une poignée d’ivrognes cultivés peut détruire une armée de bureaucrates surqualifiés ».
Voilà où nous en sommes. À l’heure où j’écris ses lignes, personne ne parie plus un kopeck sur l’avenir du pauvre Cadène, mais Bianco est convaincu qu’il gardera son poste et son Observatoire. Maybe, maybe not ? Une chose est certaine : sa crédibilité est désormais nulle. Les antilaïques déguisés en laïques ne tiennent plus le haut du pavé. Petite victoire, mais victoire. Et accompagnée d’autres victoires.
À preuve, si j’avais disposé de deux pages de plus, j’aurais pu vous raconter aussi la face cachée de l’après-Cologne. Ou comment une poignée de féministes quasi-inconnues mais déterminées ont dynamité les diktats islamogauchistes visant à exonérer les migrants. C’est un peu la même histoire que celle de l’Observatoire, mais avec Caroline de Haas et Clémentine Autain dans les rôles de Cadène et Bianco.
Le point commun entre ces quatre-là, c’est une propension incroyable à l’arrogance, donc à une certaine bêtise. Ces gens n’ont même pas compris qu’il s’était passé des choses dans la tête des Français le soir du 13 novembre. Tant pis pour eux, tant mieux pour la France. Hardis petits, on les aura ![/access]
*Photo: SIPA.00619000_000045.
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