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Bhutto assassinée : un symbole, mais de quoi ?


Bhutto assassinée : un symbole, mais de quoi ?

Un symbole a été tué au Pakistan – Le Parisien et d’autres l’ont proclamé en « une », on nous l’a répété sur tous les tons : avec l’assassinat de Benazir Bhutto, un grand espoir s’est éteint. Espoir de quoi ? C’est bien la question. Première femme à la tête d’un gouvernement dans un pays musulman, Madame Bhutto incarnait, parait-il, une promesse de démocratie. Le problème est qu’il s’agit d’un conte de fées. Philippe Cohen a plaisamment dénoncé la « béatification de Benazir Bhutto par BHL« . Bien vu, Philippe. Pour BHL, les relations internationales sont une garden party où se pressent des stars qui sont, comme lui, autant de « symboles » capables de transformer le monde grâce à quelques coups médiatiques bien assenés. On a l’habitude de ses élans lyriques. De même, la pieuse communion médiatique autour de la défunte n’est guère surprenante. Benazir Bhutto a en effet eu droit à une salve grandiloquente et pleurnicheuse – la voilà désormais intouchable. « L’espoir assassiné », proclamait gravement Pierre Rousselin, directeur-adjoint de la rédaction du Figaro, dans un édito écrit d’une plume dégoulinante de bons sentiments. Madame Bhutto, expliquait-il, était « le symbole de l’avenir démocratique d’un pays trop longtemps sous le joug d’une dictature militaire ». On croit rêver. Le PPP (Parti du peuple Pakistanais) ayant décidé de porter à sa tête le fils de la défunte qui sera coaché par le veuf, il faut saluer ce régime nouveau que l’on pourrait qualifier de démocratie dynastique. Que l’assassinat de Benazir Bhutto soit un signe supplémentaire de l’anarchie qui règne au Pakistan est indéniable. Ce n’est pas une raison pour repeindre l’histoire en rose. Redescendons sur terre.

Avant d’incarner l’espoir et la démocratie, bref, de figurer les gentils dans le western qui tient lieu de récit médiatique du monde, les Bhutto étaient de grands propriétaires terriens souvent décrits comme féodaux. Le père de Benazir, Zulfiqar Ali Bhutto, avait eu l’intelligence de devenir le concessionnaire local de la rhétorique démagogico-socialiste quand celle-ci était très en vogue, à la fin des années 1960. Mais ce grand démocrate n’a guère apprécié le résultat des élections qu’il avait appelées de ses vœux. Pour ce prince du Sindh, le bastion familial, la démocratie était une mode dictée par l’air du temps plutôt qu’une conviction. Ses calculs politiciens ont contribué à précipiter la sécession de l’est du pays et la création Bangladesh. Bref, il fut un politicien, ni pire ni meilleur que les autres. Evidemment, cela ne justifie en aucun cas son exécution en 1979. Mais une corde ne suffit pas à faire un martyr.

Quant à Madame Bhutto, son bilan est pour le moins décevant. Son premier atout était son nom. Belle (sa principale qualité selon Mitterrand et BHL), intelligente et cultivée parait-il, elle est devenue le chouchou de la presse internationale, une star mondialement reconnue – on ne saurait exclure que le voile blanc devenu sa marque de fabrique ait joué un rôle dans cette starisation. En 1988, son élection a donc été accueillie à grands renforts de superlatifs. Une femme élue dans un pays musulman : en guise d’analyse d’une réalité compliquée, le public n’avait qu’à se contenter d’idées simples et de formules creuses. Il aurait été rabat-joie d’avancer l’hypothèse que cette élection ne disait pas grand-chose du monde islamique – même pas de l’islam des Lumières tant aimé par BHL – et beaucoup du sous-continent indien. Car avant d’être une femme musulmane, Bhutto était une fille de famille de culture indienne, une Indira Gandhi à la Pakistanaise.

Seulement, la politique, la vraie, c’est un peu plus compliqué qu’un entretien au Times. Le deuxième mandat de Benazir Bhutto, entamé en 1993, n’a pas mieux tourné que le premier. Son mari Asif Ali Zardari, était aimablement surnommé « Monsieur 10% ». Les Bhutto dénonçaient ces accusations de corruption comme autant de coups montés par les militaires ou le régime pour les éliminer. Mais le dossier n’était pas tout-à-fait vide et on peut difficilement accuser la justice helvétique d’être à la solde des militaires pakistanais. Or, madame Bhutto fut condamnée en Suisse pour avoir touché plusieurs millions de dollars de pots-de-vin, avec son mari – qui se trouvait être son ministre de l’environnement pendant son deuxième mandat (C’est bien connu, en famille, on travaille mieux). Il y eut aussi la sombre affaire du manoir dans le Surrey dont le couple nia catégoriquement être propriétaire. Le fervent socialiste qu’est Monsieur Zardari s’indigna qu’on pût même le questionner : « Comment peut-on même songer à posséder un manoir en Angleterre quand tant de Pakistanais n’ont pas de toit », déclara-t-il. Et pourtant, quand la propriété fut vendue, cet enfant de Don Quichotte qui s’ignorait se souvint qu’il l’avait achetée. (Dans sa distraction, il avait aussi oublié qu’il avait demandé qu’on construise dans la cave du manoir une copie conforme du pub local – sans doute pour y boire un coup à la santé du peuple du Pakistan).

Si on ajoute le fait que Madame Bhutto n’a pas su plus que les autres anticiper la montée en puissance des Talibans et qu’elle n’a fait reculer ni la pauvreté ni la violence dans son pays, on est en droit de se demander si la ferveur et le deuil planétaires ne sont pas légèrement excessifs. Mais peut-être que je manque de cœur.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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