Première sur l’info, la chaine de télé BFM TV, l’est aussi de par le dégoût qu’elle suscite. Détestée mais abondamment regardée, elle est au coeur d’un curieux paradoxe français…
Pour les plus mordus d’actualité, BFMTV fait figure de drogue dure. Pourtant, les succès d’audience de la chaine vont de pair avec une défiance croissante envers les médias… et le canal 15 en particulier. Curieux paradoxe…
« Regarder BFM TV toute la journée, je ne suis pas sûre que ça soit ma préconisation »
Dans leur dernier livre, les journalistes Nicolas Domenach et Maurice Szafran révèlent que le président Macron aurait déclaré : « BFM, toute la journée, ça insécurise. » Dans les propos rapportés, notre ex-vertical président précise sa brillante pensée : « Parce que tout va mal, tout le temps, partout, en boucle et sans le moindre répit. » C’est vrai ça : personne ne parle des bonnes nouvelles !
A l’étonnement général, Céline Pigalle semble partager cet avis. La directrice de la rédaction de la première chaîne d’info du pays abonde dans le sens de l’Elysée : « ll faut évidemment regarder BFM TV, mais de là à la regarder toute la journée, je ne suis pas sûre que ça soit ma préconisation », alertait-elle fin janvier sur France 5. Ce rappel citoyen quant à la vigilance à adopter vis-à-vis de son travail était un rappel de bon sens, adressé dans l’un des innombrables talk-shows du PAF. Lequel n’aime rien tant que de parler de lui-même. Madame Pigalle reprocha à cette même occasion aux hommes politiques de trop regarder sa chaine. Comme s’ils pouvaient encore ne plus suivre frénétiquement tout ce qui s’y dit pour rester à la page… Difficile pour ces malheureux de faire autrement. La vie politique contemporaine consisterait-elle encore en autre chose que cette bousculade généralisée pour afficher son minois de député/sénateur/ministre/expert en communication/éditorialiste politique (rayer les mentions inutiles) devant le fond vert du studio de la chaine ?
La chaine des attentats
Mais quel est le problème avec BFM TV, à la fin ?
Alain Weill, président de Nextradio TV et donc patron de BFM TV, a récemment assuré au JDD : « Nous devons la vérité à ceux qui nous regardent. » Projet ambitieux, d’autant plus que je lis partout que Russes et « infox » Facebook veulent la mort de ma République. Pour contrer ces attaques, BFM démarre les directs dès 4h30.
Après 2015, la chaîne s’est installée à une place incontournable dans le paysage médiatique français. Les attentats ont aidé : la France est à cran et semble de plus en plus friande d’immédiateté. Alors que les sinistres Kouachi et Coulibaly se faisaient connaitre du restant de leurs concitoyens, les télés des bistros du pays sont massivement passées des clips musicaux aux « infos de dernière minute » du canal décrié. Depuis, elles n’ont plus changé de chaîne.
Tout le monde déteste BFM TV
Le ronron médiatique de BFM TV – et les embardées de l’actu de plus en plus fréquentes qui y sont relatées – assaillent ainsi un nombre croissant de victimes. Désormais, la socialisation de comptoir passe autant par les commentaires sur le goût du café et du vin que sur Adeline François ou Jean-Jacques Bourdin, deux des intellectuels officiant sur l’étagère dans un coin en haut du bar. Plus récemment, la crise des gilets jaunes a offert de nouveaux records d’audience à la chaîne et des conflits en interne dans la rédaction. Le samedi 8 décembre, journée que « gilets jaunes » et médiatiques avaient appelée « acte IV » – et accessoirement marquée par l’entrée de blindés dans Paris – a permis à la si malfaisante chaine d’infos de se classer juste derrière les néo-gauchistes de TF1 sur la journée avec 10,9% de part d’audience. Alors que le prurit contestataire se manifestait dans la rue, la chaîne d’infos était de plus en plus regardée. Fait inédit : ses reporters de guerre se trouvaient désormais pris à partie, BFMTV étant assimilée au reste des institutions françaises contre lesquelles des Français sont entrés en sédition…
La chaîne peut reconnaitre quand elle faute, ou quand elle se trompe. Ses journalistes sont en outre les premiers à reconnaitre qu’ils ont parfois conscience de mal faire leur travail. Humble institution ! Mais il y a des raisons légitimes à l’agacement qui vont au-delà des erreurs factuelles qui peuvent survenir ou de l’appréciation qui peut être faite sur le traitement de telle ou telle information.
Pauvres de nous…
Si les débordements envers les journalistes peuvent bien sûr questionner, le fait que tant de papiers se soient consacrés depuis la mi-janvier aux violences des gilets jaunes envers BFMTV atteste en tout cas du profond décalage entre les préoccupations des médiatiques et celles de la population. Il était anormal que la préoccupation qui prévale dans la sphère médiatique mainstream (chez Yann Barthès ou Sonia Devillers, par exemple) soit la violence envers les journalistes alors que dans le même temps la situation sociale se tendait de façon inquiétante, que les CRS se prenaient des parpaings sur le nez et des gilets jaunes des flash ball dans la tronche. Il y a eu chez certains éditorialistes au mieux déformation professionnelle et réflexe de caste, au pire connivence avec l’exécutif.
Mais allons un peu plus loin, et essayons de comprendre pourquoi la sphère médiatique est devenue monstrueuse au point que des rebelles en jaune en viennent à agresser ceux qui se sont donné pour mission de nous informer sur les piteux samedis français.
BFM, l’ordre du jour
Alors que l’inflation des canaux de diffusion (TNT, Internet, réseaux sociaux) aurait pu signifier une augmentation vertueuse du pluralisme et des sources, elle a paradoxalement coïncidé avec le déclin de la presse d’opinion et un rejet croissant du pouvoir médiatique. BFM TV peut agacer par le pouvoir qu’elle s’octroie. Ce qui n’est pas médiatisé sur BFM TV n’existe pas (ou presque). Et Jean-Jacques Bourdin se vantait de faire passer un « entretien d’embauche » aux candidats lors de l’élection présidentielle. Sans compter que RMC et BFM TV pressentent les décisions de l’exécutif et avaient prétendu mettre en place un grand débat national avant même que le gouvernement ne se décide à mettre en branle se grosse machine.
Quand la République déraille, BFM est donc presque naturellement récriminé comme n’importe lequel de ses acteurs. Que la description d’une manifestation de gilets jaunes à son antenne soit louangeuse ou négative apparait comme déterminant pour les manifestants quant à la suite que prendront les événements. BFM TV s’octroie la décision de l’ordre du jour républicain.
Les ficelles sont toujours plus grosses
La chaine agace aussi bien sûr par le ton saccadé si caractéristique des énoncés de ses journalistes ou par ses expressions pénibles et infantilisantes : « En clair, le président Macron a voulu nous dire que… » ; « décryptons cette séquence » ; et autres « épisodes » neigeux « sans précédent » dans le massif des Écrins…
Si le format de BFM TV peut être en lui-même problématique (le « hard news », c’est à dire une couverture en direct et continue de l’information ne permettant pas le recul nécessaire à l’analyse), ces expressions pénibles et ce ton commun aux différents intervenants si éloigné du langage de la rue est aussi pour beaucoup dans l’exaspération populaire.
Au parisianisme du langage s’ajoute un mélange des genres explosif. Sur BFMTV (et maintenant chez ses concurrentes), on ne sait plus qui est éditorialiste et qui est politique. Mélange des genres et des gens : hommes politiques et journalistes sont appelés à commenter chaque petit rebondissement de l’actualité sans sommation. Les violences subies par les équipes de BFM montrent à quel point nous sommes rentrés dans une société de défiance généralisée. Le divorce entre la France périphérique et la France des métropoles – et même de leurs angoissantes banlieues – est entériné. Et ce n’est certainement pas la rencontre entre les monstres enfantés par BFM et internet sur la période (Eric Drouet, Fly Rider ou Marlène Shiappa) chez Hanouna dans une émission de pornographie politique qui peut régler le problème. Pire que le mépris de classe que des gilets jaunes remontés comme des coucous peuvent ressentir vis à vis des équipes de BFM TV, la déconnexion totale et la scission entre France périphérique et métropoles exigent des mesures fortes. Décentraliser le siège de France Télévisions en province pourrait être un modeste héritage du grand débat.
Retrouver la boussole
Solidement installée sur la hune de son bateau pirate, Elisabeth Lévy observait récemment l’océan médiatique: « Aujourd’hui, même le plus guindé de nos élus accepte d’aller se faire engueuler chez Ruquier – et de feindre de rire de blagues pas drôles. Dans ces conditions, ceux qui, avec leurs grands airs, intentent à Hanouna un procès en vulgarité font penser à une mère maquerelle qui défendrait la vertu. »
C’est exact, mais ajoutons que le citoyen lambda a le devoir de s’en indigner et le droit de déplorer que les élus se soient ainsi soumis à ce petit monde médiatique délirant dont BFM TV est l’un des principaux sextants permettant de se repérer…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !