Béziers: les indigènes ne veulent plus être invisibles


Béziers: les indigènes ne veulent plus être invisibles
Robert Ménard au forum "Oz ta droite", Béziers, mai 2016. Sipa. Numéro de reportage : 00758163_000008.
beziers fn robert menard
Robert Ménard au forum "Oz ta droite", Béziers, mai 2016. Sipa. Numéro de reportage : 00758163_000008.

« J’ai découvert le trotskysme de droite. Et je ne suis pas très satisfait. » Chez Yves de Kerdrel, cette formule traduit sans doute le summum de la colère. Dans le train qui le ramène de Béziers, le très libéral et très chic – tendance flegme anglais – patron de Valeurs actuelles se demande si son ami Robert Ménard ne l’a pas un brin baladé. Ce week-end de débats devait être l’occasion de jeter des passerelles entre la droite classique et la droite frontiste ou plutôt entre deux de leurs branches respectives, catho-libérale d’un côté, lepéno-identitaire de l’autre. Et, à l’arrivée, ce proche de Sarko se retrouve assis à la tribune pendant que Ménard (un ami également malgré nos divergences abyssales) égrène une litanie de mesures présentées comme les marqueurs de la droite, mesures qui ravissent la salle, mais dont bon nombre seraient inassumables par les plus nationaux des Républicains.

Plus de police, plus d’armée, moins de social, quasi suppression de l’Education nationale, l’autodéfense organisée, la « famille française » encouragée : on ne reprochera pas à Robert Ménard de parler à mots couverts. Devant un public qui en redemande, il dessine les contours d’un Etat fort, voire autoritaire, qui ne serait plus le garant de la neutralité, mais le défenseur de l’identité française traditionnelle. En somme, plus de France que de République. « Et encore, on n’a gardé que les propositions les plus raisonnables », assure-t-il, concédant que la liste baroque votée par acclamations (et cartons rouges/bleus) n’est pas seulement issue des urnes déposées à l’entrée de la salle de conférences.

« Tout était préparé à l’avance », se plaint Kerdrel. Le plus probable est pourtant que l’ancien patron de Reporters sans frontières, comme souvent, a avancé à l’instinct, sans savoir clairement ce qu’il attendait de ce pavé, ni même dans quelle mare il le lançait. Xavier Lemoine, le maire LR de Montfermeil, est pour sa part convaincu qu’il a réussi son coup : « Il a créé un rapport de forces avec le FN et avec les Républicains. » Voire. Si à la tribune, diverses sensibilités se sont exprimées, le public était, lui, presque exclusivement composé d’électeurs frontistes – tendance Marion. Et l’un des résultats de l’opération aura été de faire entendre cette frange, qui ne se reconnaît pas dans la ligne philippotiste du FN, jugée trop étatiste, trop laïque et, in fine, un brin trop moderne. Grâce au départ précipité de Marion Maréchal-Le Pen, bruyamment acclamée en son absence, la presse aura eu le mini-psychodrame indispensable à ce type de réunion. En populiste assumé et efficace, le maire de Béziers a joué la salle contre la direction du FN. « Les appareils politiques sont aussi loin des gens que les journalistes, ironise-t-il, la voix légèrement cassée. Mais il faut t’y faire, la France invisible pense comme le public de Béziers ! Eh bien moi, je veux que sa voix pèse dans le débat. » Pour votre servante – et plusieurs dizaines de journalistes –, le raout biterrois aura au moins été l’occasion de l’entendre.

Exaspération, inquiétude, colère…

Cette France old school, comme dirait Onfray, a beau ramener sa fraise électorale, on ne cesse de lui expliquer qu’elle est vouée à la disparition. Et même qu’elle n’existe pas, d’ailleurs qu’elle n’a jamais existé puisque nous sommes tous des étrangers. On exalte les identités venues d’ailleurs, mais on ricane de sa peur de devenir minoritaire chez elle. Elle trouve qu’elle a beaucoup accueilli et on la traite de raciste. L’état d’exaspération, d’inquiétude et de colère perceptible dans les allées du Palais des congrès de Béziers est le résultat de décennies durant lesquelles l’aspiration à demeurer un peuple, avec son héritage et ses petites habitudes, a été méprisée, tournée en dérision et suspectée de cacher de noires complaisances. D’où un petit côté Nuit debout de droite. Le même besoin de parler, la même inquiétude pour l’avenir, le même folklore participatif. La même conviction qu’on doit faire quelque chose. La différence de taille réside dans les urnes : si le patchwork extrême gauchiste ne séduit qu’une faible minorité de nos concitoyens, une bonne partie de la France périphérique revenue sur les écrans-radars médiatiques grâce à Christophe Guilluy et quelques autres, est à l’unisson du public de Béziers. Pour elle, l’urgence tient en deux mots : immigration, islam. Ainsi, lors de la table ronde, particulièrement agitée, consacrée à l’immigration, Ivan Rioufol a-t-il été chahuté à plusieurs reprises « sur sa droite » pour le supposé angélisme de ses propos sur la nécessité de rallier les musulmans laïques à la République. Ce public qui dit aimer la France (et il n’y a aucune raison d’en douter) ne croit plus à sa capacité de fabriquer des Français. La progression d’un islam séparatiste et radical n’est guère de nature à le faire changer d’avis. Et la mollesse d’une partie des élites face à lui encore moins.

Bien sûr, on peut monter sur ses petits poneys antiracistes et se pincer le nez devant des humeurs qui ne font pas dans la dentelle. On peut caricaturer en beaufs ces Français un peu trop cathos sur les bords qui ont tendance à rêver de la France d’avant – d’avant l’immigration de masse – où les Français « issus de » ne se rêvaient pas en communautés. Pour ma part, je n’ai pas croisé de beaufs mais bon nombre de lecteurs de Causeur qui me disaient malicieusement que surtout, ils n’étaient pas d’accord, souvent beaucoup plus raisonnables individuellement que collectivement, s’intéressant à la politique et enrageant qu’elle ne s’intéresse pas à eux.

Proche de Charles Beigbeder, Benoît Dumoulin a décelé une ligne de fracture entre « une droite identitaire qui croit véritablement à un choc des races » et les défenseurs « d’un Etat-nation avec un fond chrétien ». De fait, pour beaucoup, « Français » est devenu synonyme de « blanc ». « Maintenant, tout le monde veut sa communauté avec ses représentants et ses droits, m’a confié une fonctionnaire à le retraite venue d’Avignon. Et seule la « communauté française » n’a aucun droit. » Les propagateurs d’un multiculturalisme qui ne reconnaît à aucune culture un droit d’antériorité auront réussi l’exploit de faire émerger un communautarisme « de souche » qu’ils peuvent désormais s’employer à dénoncer. « Ne vous inquiétez pas, m’a dit la fonctionnaire avignonnaise en se marrant de mon air effaré. Vous savez, on demande beaucoup pour obtenir peu. » Ainsi, si la salle a hurlé sa joie lorsque le mot « remigration » a été prononcé, beaucoup, dans les discussions de groupe, admettaient qu’ils n’y croyaient pas vraiment et qu’ils voulaient surtout « faire peur à la racaille ». N’empêche, je l’avoue, moi aussi, ça m’a fait un peu peur.

Ce n’est pas un hasard si Renaud Camus (encore un ami, encore des divergences) est l’une des stars de cette France malheureuse pour laquelle le « grand remplacement » n’est pas « un fantasme paranoïaque », comme le dit Nicolas Domenach avec un sourire supérieur, mais une réalité quotidienne qui voit les mœurs de la France d’avant céder du terrain à celles de la nouvelle. Que cette réalité n’ait pas été voulue par ceux qui l’incarnent n’y change pas grand-chose. En l’absence des références culturelles communes qui permettaient de faire vivre ensemble les différences, une partie de la France des provinces et de la Manif pour tous rêve d’un coup de baguette magique qui lui permettrait de ne plus vivre ensemble du tout.

Bien sûr, une bonne partie de mes confrères se contenteront de ricaner de cette France d’un autre âge qui rêve d’abroger la loi Taubira – mais sans effet rétroactif, a précisé Ménard – et essaiera d’oublier son existence en la noyant sous les noms d’oiseaux habituels. Il n’est pas exclu que certains, au sein de la jeune génération croisée à Béziers, s’efforcent de comprendre plutôt que de montrer leur belle âme, mais je ne les dénoncerai pas. En attendant, on peut dire à cette France qui ne veut pas mourir qu’elle se trompe, mais il vaudrait mieux encore le lui prouver dans les actes. Car si trente ans de prêchi-prêcha et de sermons n’y ont rien fait, il serait temps d’entendre sa colère avant qu’elle décide pour de bon de renverser la table.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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