Accueil Féminisme « Beyoncé est-elle féministe? »: j’ai survécu à une réunion d’Osez le féminisme

« Beyoncé est-elle féministe? »: j’ai survécu à une réunion d’Osez le féminisme

Le matriarcat, leur clito et moi et moi et moi...


« Beyoncé est-elle féministe? »: j’ai survécu à une réunion d’Osez le féminisme
Beyoncé et Raphaëlle Rémy-Leleu / Shutterstock40670995_000010 / Capture d'écran Youtube C à Vous

En tournée dans plusieurs sections locales de l’association Osez le féminisme, deux « autrices engagées » ont présenté leur nouveau livre à Toulouse le samedi 27 octobre. Intitulé Beyoncé est-elle féministe ?, ce bréviaire du féminisme pour adolescentes répond avec « pédagogie » à toutes les questions de société jugées primordiales : construction du genre, violences faites aux femmes, matrimoine, sexualité féminine… Entre poncifs éculés et mièvrerie militante, rencontre avec la « nouvelle génération » féministe.


Toulouse, samedi 27 octobre, centre solidaire Abbé Pierre. La section locale d’Osez le féminisme invite Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole national, et Margaux Collet, « experte genre » : deux éminentes militantes qui viennent d’écrire un manifeste pour l’association dont la figure de proue est Caroline de Haas. Une trentaine de personnes sont réunies pour entendre les « autrices » présenter ce « petit livre » appelé Beyoncé est-elle féministe ? – enfin, Raphaëlle Rémy-Leleu se reprend : « Il faut que j’arrête de dire ‘petit’, c’est un truc de petite fille élevée dans le patriarcat, ça. »

Aux « prédecesseuses », la matrie reconnaissante 

Après avoir laissé la responsable locale présenter les missions de l’association à Toulouse – relais de campagnes de communication, distribution de produits d’hygiène féminine aux femmes migrantes et SDF… et surtout, interventions dans l’enseignement secondaire pour déconstruire les stéréotypes (« mais on va essayer de le faire en maternelle et en primaire, parce que les déterminismes de genre, ça commence très tôt ») – les deux « autrices » commencent leur présentation par un petit quiz plus ou moins ludique : il s’agit de reconnaître de glorieuses « prédécesseuses » grâce à leur portrait dessiné. C’est qu’Osez le féminisme entend s’inscrire dans le féminisme historique. Les figures tutélaires d’Olympe de Gouges, Hubertine Auclert, Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi… défilent devant les yeux ébahis du public et l’air entendu des activistes chevronnées, et permettent d’évoquer les grands thèmes de la lutte des femmes contre l’oppression patriarcale millénaire.

Le livre se veut en effet, notamment à travers cette galerie de portraits, une vulgarisation des idées féministes, à destination des jeunes filles tout juste entrées dans le nécessaire « processus de déconstruction des normes qui nous ont été présentées comme inaliénables ». C’est peut-être pour cela que le style de Raphaëlle Rémy-Leleu et Margaux Collet se situe à mi-chemin entre la rédaction d’un élève de quatrième et le texte d’un étudiant tout impressionné de sa première lecture de Marx.

« C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? »

On pourrait dérouler, en vrac, les poncifs reproduits niaisement par le livre : culture du viol, concept douteux de « féminicide » – mais dont on apprendra avec consternation qu’il a été consacré par des lois pénales dans plusieurs pays d’Amérique latine, en Espagne et en Italie -, parité en politique, inégalité des salaires, « charge mentale » des tâches ménagères pour les femmes… (exactement au même moment sur M6, « 66 Minutes » consacrait un large reportage aux « nouveaux hommes au foyer »). Mais aussi d’autres lieux communs plus croustillants.

Tout d’abord, la dénonciation de la « construction du genre », évoquée dans un chapitre élégamment intitulé « C’est quoi les trucs de meufs ou les trucs de mecs ? » : on y apprendra notamment que les contes pour enfants sont « un univers sexiste », mais qui tend malgré tout, grâce à la montée du féminisme, à renverser les clichés, témoin La reine des neiges de Disney dont un des ressorts principaux est l’ « amour sororal ». Grâce aux pistes « pour aller plus loin » évoquées dans un encadré jaune (pas rose), on saura aussi que des solutions existent pour « offrir des jouets non sexistes », grâce à la campagne « Marre du rose » d’Osez le féminisme, et la maison d’édition Talents Hauts qui « propose des livres dès 2 ans et jusqu’à l’adolescence garantis 100% sans sexisme ».

Sur la construction des inégalités par le patriarcat, on verra aussi que le « sexisme dans le langage » impose de le « féminister ». A cette occasion, on apprendra pourquoi on dit à présent « égalité entre les femmes et les hommes » plutôt qu’ « égalité entre les hommes et les femmes » : c’est qu’on utilise, pour contrer la préséance du masculin, l’ordre alphabétique ! C’était donc ça !

La révolte des prêcheuses ridicules

On justifie de plus la réécriture de l’histoire au travers du prisme du « matrimoine ». Par exemple, il est bien probable que le véritable génie ait été la sœur de Mozart, malheureusement empêchée par son père de se développer parce qu’il lui préférait un homme, qui se serait ensuite copieusement inspiré de sa sœur. De même, il est une figure trop souvent oubliée à laquelle il faut rendre hommage – « ou plutôt femmage » : Ada Lovelace, une des fondatrices de l’informatique. En parallèle, on insistera sur la figure contemporaine de Shonda Rimes, productrice et scénariste de séries comme Grey’s Anatomy ou How To Get Away With Murder : grâce à elle, nous dit Raphaëlle Rémy-Leleu, « on écrit enfin des séries où les femmes ne sont pas juste des bonniches à la maison ! » Eh oui, c’est bien connu, on a attendu les années 2000 pour y donner une place aux femmes, soit le moment approximatif où les « autrices » précitées ont commencé à regarder des séries – simple hasard.

Un gros morceau est également celui de la place des femmes dans le sport, avec la difficile pilule à avaler de la différence physique entre les hommes et les femmes. Le manifeste reprend à son compte les fumeuses théories selon lesquelles, dans l’évolution, ce serait une inégalité d’alimentation entre les hommes et les femmes qui aurait causé la différence de taille et de force physique actuelle. Mais c’est aussi que les femmes ont été écartées « pendant 300 ans » (pourquoi 300, et pas 500, 800, 2000 ans ?) du privilège de faire du sport, cantonnées qu’elles étaient au rôle de nourrir les mioches. Alors, « empêchons les hommes de faire du sport pendant 300 ans et on verra ce qui se passera ». D’ailleurs, Raphaëlle Rémy-Leleu pose la question : pourquoi ne pas envisager des compétitions mixtes dès à présent ? Car « les hommes ne marquent pas de buts avec leur pénis », hein !

Enfin, comme chacun sait, « le privé est politique ». Les « autrices » n’hésitent donc pas à s’immiscer dans la vie intime de leurs lectrices, en donnant des conseils en matière de relations amoureuses ; car « la société est machiste, les représentations de la sexualité et du couple aussi. Il est donc très important de passer ta relation au radar du féminisme ». On remerciera Margaux Collet et Raphaëlle Rémy-Leleu de cette attention maternaliste ! Il faut alors déconstruire les clichés sexistes en matière de sexualité : par exemple, « la virginité est en fait une invention pour contrôler la sexualité des filles et des femmes », qui découle de « la tradition patriarcale de service sexuel et reproductif  ». Ceci s’accompagne de nouveau des plus vieilles lunes des magazines féminins : « On est là pour se faire plaisir ! », masturbez-vous et surtout : « Osez le clito ! », du nom d’une des campagnes les plus médiatiques d’Osez le féminisme.

Si tous les « cons » volaient…

Avec tout cela, on ne nous a pas répondu : finalement, Beyoncé est-elle féministe ?! Eh bien, ce titre est là avant tout pour « parler aux jeunes ». On se bornera à dire que Beyoncé, quand elle se revendique féministe, fait progresser la bonne cause dans le monde ; et de plus, il ne revient à personne de décerner des labels de féminisme, féminisme dont le but est tout de même de « créer un réseau d’action et de sororité » entre les femmes. Même si, quand elle s’habille « de manière dénudée et sexualisée », on peut considérer qu’elle « se définit dans le regard des hommes ».

A la fin de cette éprouvante rencontre de deux heures, il est décidé de faire une photo pour immortaliser le moment. Les enthousiastes se précipitent pour être aux côtés des brillantes « autrices ». Et finalement, au moment de faire un sourire d’occasion, Raphaëlle Rémy-Leleu s’écrie : « Avec moi : 1, 2, 3, clitoriiiiis ! » Trop heureuses d’en rajouter, certaines dans l’assemblée lèvent les bras et effectuent le signe du clito (?!). N’était-ce pas là tout le manifeste dont Osez le féminisme avait besoin ?

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