Un jour, il faudra créer une association de celles et ceux à qui l’envie d’écrire un premier roman est venue en lisant Lettre à un ami perdu de Patrick Besson. On a dit Patrick, n’est-ce pas ? N’allez pas confondre avec Philippe, l’écrivain gay, gentil et nul. Patrick Besson, lui, n’est jamais meilleur que dans le conte cruel, autobiographique et mélancolique comme ce Come Baby qui s’inscrit dans la lignée de textes courts et ciselés, un rien modianesques, à la manière de 28, boulevard Aristide Briand ou de Tour Jade.[access capability= »lire_inedits »]
Au début de Come Baby, on croit avoir affaire à deux narrateurs. Un premier qui dit « je ». Il est écrivain. Il retrouve une maitresse récente, journaliste people. Et puis un second qui dit « il » et qui arrive à Bangkok. Il est aussi écrivain. Les deux sont évidemment Patrick Besson. Come baby est monté comme un film de Chris Marker, le magnifique Sans soleil par exemple. Le voyage en Thaïlande, on le comprend peu à peu, s’est déroulé légèrement avant la rencontre avec l’ancienne maîtresse.
Façon subtile de jouer avec le temps et la schizophrénie, l’ubiquité et la durée. On croit lire un roman léger, désinvolte, dans la tradition si française des néo-hussards dont Besson fut un des plus brillants éléments et l’on se retrouve dans une asymétrie légèrement angoissante, à se demander à quel moment de son existence un homme déjà bien entré dans la cinquantaine et qui a toujours l’impression d’avoir dix sept ans (âge auquel Besson a publié son premier roman) peut enfin se décider à coïncider avec lui-même, sans pour autant mourir. Parce que mourir, c’est coïncider avec soi-même une fois pour toutes. Besson l’a bien compris, dont la dernière phrase est « Ce récit serait alors le premier écrit d’un mort. » On a le droit de citer la dernière phrase d’un roman de Besson parce qu’elle n’est pas meilleure que les autres qui sont toutes excellentes.
Ce qui est vraiment aimable, chez lui, c’est cette façon de tenir la note d’un bout à l’autre. Comme Modiano, encore, tiens. Quoique Besson ait une façon bien à lui de tirer la langue française vers sa pente naturelle à la maxime ou à l’aphorisme. C’est son côté La Rochefoucauld qui copinerait avec des prostituées thaï sur fond de décalage horaire ou qui aurait du mal à éviter la rencontre entre sa femme et sa maitresse alors que le soleil inonde la place de la Concorde. Les touristes sexuels ? « Vieux enfants venus chercher des baisers de leur mère qui pourrait être leur fille ». La fin d’un dîner au Grand Vefour, quand ne restent plus que quelques convives ? « Ce qu’il y a de bien, dans les catastrophes et les exodes, c’est qu’on ne se sépare pas. La vie tout seul, à deux ou en famille : ces bagnes. Il faudrait vivre à cinquante, cent, mille. On aurait toujours quelqu’un à qui se confier, avec qui raconter des blagues. »
En même temps, Patrick Besson sait bien que l’écrivain est le dernier vrai solitaire sur cette planète. C’est son malheur et sa gloire mais ça permet de passer des mains d’une masseuse diplômée à celles d’une jeune femme de bonne famille sans transition. Il y pire, comme destin.[/access]
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