Le destin fait bien les choses. Il arrive, un peu par hasard, qu’on rencontre un de ses cinéastes préférés.
Une rencontre la veille du scandale DSK
Il était un des cinéastes les plus chers à notre cœur. Cette photo date de mai 2011. C’est un de mes meilleurs souvenirs de rencontres d’autant plus qu’elle doit tout au hasard. On était à Perpignan, pour un éphémère festival de polar. Tavernier était venu pour une projection de son adaptation de James Lee Burke, Dans la brume électrique, son seul film américain. Le modérateur prévu avait fait défaut, ma réputation bien exagérée de cinéphile a couru chez les organisateurs. Je me suis retrouvé à l’interroger de manière improvisée. J’étais fou de joie et terrifié. J’avais tort tant son affabilité et son érudition tranquille mettaient à l’aise l’interlocuteur. Je me souviens qu’on a surtout parlé de La princesse de Montpensier qui venait de sortir, de son goût pour le film noir, de Simenon dont le premier film de Tavernier est une adaptation (L’horloger de Saint-Paul, 1973).
Il y a aussi eu ce moment où je lui ai dit toute ma reconnaissance pour le film Ça commence aujourd’hui qui racontait en 1999 le quotidien d’un directeur d’école primaire dans le nord du Valenciennois, là où la misère sociale n’est pas un vain mot. On avait trouvé, chez certains critiques qui ne dépassent pas le périph, un côté Zola trop appuyé à ce film. Il se trouve que j’ai été prof dans la même zone et que Ça commence aujourd’hui ne paraît outrancier ou moralisateur qu’aux gens qui n’ont pas été confrontés directement à cette détresse sociale aux aspects particulièrement poignants quand elle s’attaque à l’enfance et l’empêche d’être cet âge de l’émerveillement et de l’apprentissage heureux de la beauté du monde. Et pourtant ce n’était pas un film désespéré, mais humaniste.
A lire aussi, du même auteur: Kafka et Michaux au temps du «stop and go»
Un humanisme qui ne passe plus?
Humaniste… Voilà un mot bien démodé, mais qui résume sans doute le cinéma de Tavernier. Être humaniste peut vite vous faire taxer, en la matière, de cinéaste pesant, nian-nian, académique. Tavernier a transformé son adaptation de Jim Thompson, 1275 âmes, en film anticolonialiste dans Coup de Torchon, tourné à Saint-Louis du Sénégal. Et alors? Sa peinture d’un milieu qui baigne dans l’hypocrisie, le racisme et la violence larvée est le même que celui de la petite ville américaine de Jim Thompson et le personnage du shérif qui passe pour un débile léger mais procède à un nettoyage par le vide chez les notables avec une intelligence méthodique, c’est le même que celui du flic débraillé joué par Noiret, un des acteurs fétiches de Tavernier. On retrouve cet humanisme sceptique, désespéré et aimable, toujours incarné par Noiret, dans le personnage du père qui n’a pas assez compris son fils dans L’Horloger de Saint-Paul, mais aussi dans le Régent de Que la fête commence ou le commandant lancé dans l’entreprise impossible d’un décompte exact des morts de 14-18 dans La vie et rien d’autre.
Je me souviens, sans que cela ait le moindre rapport, que le lendemain de la photo, on apprenait au matin que DSK avait été arrêté à New-York pour l’affaire du Sofitel. Cela aurait pu faire un scénario pour Tavernier, Chabrol ou même Yves Boisset, ces cinéastes qui grattaient là où ça fait mal tout en réussissant à faire des millions d’entrées. Ils sont la preuve oubliée que l’on pouvait très bien faire un cinéma populaire de critique sociale, ce qui a totalement disparu aujourd’hui où la militance pure, intolérante, alliée au néopuritanisme woke donne l’impression que les films « politiques » doivent recevoir le tampon d’autorisation donné par le Bureau des Intersectionnalités. N’y échappent, encore aujourd’hui que de rares cinéastes comme Lucas Belvaux dont le film sur la guerre d’Algérie, Des Hommes, attend encore de sortir depuis des mois, dans la grande nuit de l’épidémie. La meilleure preuve que cet humanisme n’est plus vendeur, c’est que Tavernier ne parvenait même pas, ces dernières années, à réunir des fonds pour un nouveau film…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !