Un livre attachant de Thierry Frémaux sur le cinéaste boulimique qui a su parler de son temps.
Quand je pense à Bertrand Tavernier (1941-2021), c’est d’abord sa voix que j’entends : ample, rocailleuse, gargantuesque. Un peu comme celle de Philippe Noiret, son comédien fétiche, témoin à son second mariage. Ensuite, les noms de ses films surgissent. En premier, L’Horloger de Saint-Paul (1974), qui se déroule dans sa ville natale, Lyon, adapté d’un roman de Simenon, parce que c’était une ville simenonienne disait Tavernier, « qu’on avait envie de regarder comme Maigret regarde les gens ». C’était la naissance du cinéma populaire de Tavernier filmant une France qui « tenait » face à la mondialisation, résistait même, comme son père, René, écrivain, dont la vaste bibliothèque inspira Bertrand.
Durant la Seconde Guerre mondiale, René fonda la revue Confluences, publia Paul Eluard et Louis Aragon. Sous l’Occupation, en 1943, l’écrivain communiste vécut avec Elsa Triolet au premier étage de la grande maison des Tavernier. Aragon y écrivit Les Yeux d’Elsa, « La Rose et le Réséda » et surtout « Il n’y a pas d’amour heureux » immortalisé par Georges Brassens. On apprend que la mère de Bertrand fut l’inspiratrice du poète engagé.
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L.627
D’autres anecdotes nourrissent le livre de Thierry Frémaux, directeur de l’Institut Lumière de Lyon et délégué général du Festival de Cannes, consacré à son ami Bertrand Tavernier, rencontré en 1982 à l’Institut Lumière dont il était le président. Un livre qui n’est pas une biographie, mais plutôt un portrait impressionniste et sentimental du cinéaste. L’homme y apparaît tour à tour passionné par son métier, et plus encore par le cinéma mondial, hypermnésique, volubile, bougon, inquiet, curieux de tout, ne s’endormant jamais sur ses lauriers – son œuvre le prouve, en particulier le singulier et dérangeant L.627, mélomane, dévoreur de livres, aimant l’Histoire et les histoires bien ficelées, avec des personnages puissants, le tout servi par une musique qui fait corps avec le scénario.
Un boulimique de la vie qui, grâce au cinéma, avait trouvé sa place dans le monde, ce qui est primordial. Il savait être critique à propos de ses films. Il n’hésitait pas à reconnaître que la fin du Juge et l’Assassin était ratée, la trouvant trop démagogique. Thierry Frémaux rappelle qu’à la mort du réalisateur, Libération tira à boulets rouges sur une œuvre définitivement jugée détestable. Les Cahiers du cinéma, dès son premier film, l’avait rejeté. La cause était entendue et reprise par l’axe idéologique Cahier-Libé-Inrocks-Le Monde. À propos de L.627, la presse de gauche sonna l’hallali en déclarant raciste le film parce que les interpellations et les gardes à vue concernaient majoritairement des Noirs et des Arabes. Thierry Frémaux rappelle alors le coup de gueule du Tavernier : « C’est ce que nous avons vu ! On ne va pas le cacher parce que la gauche a échoué sur ses questions ». C’était en 1992, le quotidien de la brigade des stups de Paris, filmé sans fard.
Le cadet admiratif devint au fil des années l’un de ses plus fidèles amis. Il le restera jusqu’au dernier souffle du réalisateur de La Vie et rien d’autre (1989). Ce livre, pudique et littéraire, l’atteste. Dans son film La Mort en direct (1980), Romy Schneider, qui se sait condamnée, demande à Harvey Keitel de l’emmener voir la mer. Tavernier est mort dans la maison héritée de ses parents, au bord de la Méditerranée. Comme le dit Thierry Frémaux, le cinéma de Tavernier vieillit bien. Sûrement parce qu’il parle au « meilleur de l’âme » (Aragon).
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