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Que vaut le Bernard Tapie de Netflix?

Tapie, « bigger than life »


Que vaut le Bernard Tapie de Netflix?
Laurent Lafitte et Joséphine Japy © Netflix

Très attendue, la série Netflix consacrée à Bernard Tapie n’a pas déçu. Créée par Olivier Demangel et Tristan Séguéla, fils du célèbre publicitaire Jacques Séguéla qui a été l’ami d’une vie de Tapie, cette œuvre de fiction a déplu à une partie des héritiers de la dynastie. Pourtant, le personnage Bernard Tapie y est traité avec empathie et truculence. Critique.


Bernard Tapie est un personnage historique bien plus important qu’on ne le suppose parfois. Songeons que pour évoquer les années 1980 et le début des années 1990, on parle encore parfois des « années Tapie ». Ce n’est pas rien ! Il faut dire que le personnage est assez unique dans le paysage politico-médiatique français, où se distinguent le plus souvent les intellectuels, les héritiers et les hauts fonctionnaires. Ils sont rares les hommes sortis du rang, venus directement du peuple, qui ont réussi à s’imposer dans nos élites si figées.

Laurent Lafitte convaincant

La route ne fut d’ailleurs pas simple pour le jeune Tapie, comme le montre intelligemment cette fiction biographique. Né modestement dans le 20ème arrondissement de la capitale de parents originaires du Sud-ouest, ce fils d’ouvrier n’aura eu de cesse de suivre ses rêves. D’abord chanteur à minettes, puis pilote de course chez Lotus, Bernard Tapie a aussi connu quelques succès entrepreneuriaux dans les années 1970, développant le magasin d’équipements Cercle N°1, le groupement d’achat Le Club Bleu, ou encore Cœur Assistance avec Maurice Mességué. Ces premiers succès coïncidèrent d’ailleurs avec ses premiers ennuis judiciaires…


Si la série d’Olivier Demangel et Tristan Séguéla prend des libertés avec les faits, ainsi que l’a notamment dénoncé Stéphane Tapie, elle trace néanmoins les grandes lignes et les étapes de l’ascension difficile de Bernard Tapie vers les sommets. Laurent Lafitte interprète d’ailleurs très bien son modèle, lui-même un temps acteur au théâtre ou chez Claude Lelouch. Il réussit à transmettre l’optimisme contagieux et la gouaille irrésistible d’un homme qui ne s’avouait jamais vaincu, se pensait doté d’une baraka hors du commun qui ne devait jamais le quitter. Sous l’homme Tapie se fait jour le petit garçon choyé par ses parents, joueur jusqu’à l’inconscience.

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Ce fut d’ailleurs longtemps vrai. Homme de clan extrêmement protecteur avec ses proches, Bernard Tapie a pu compter sur sa seconde épouse Dominique – incarnée par l’excellente Joséphine Japy – pour s’accomplir. C’est avec elle qu’il a pu devenir le « boss » des années 80, rachetant des entreprises pour un franc symbolique et les rendant de nouveau pérennes. La série de Tristan Séguéla s’attarde notamment sur la prise de possession des usines Wonder, décrivant le rôle joué par le père de l’homme d’affaires, syndicaliste de la CGT qui sut rassurer les ouvriers en leur promettant que leurs emplois resteraient en France.

Plus attiré par la renommée que par l’argent

L’épisode 4 est d’ailleurs brillamment pensé. Après une ellipse, on retrouve Bernard Tapie devenu homme de télévision, précurseur de Donald Trump et Silvio Berlusconi, orchestrant l’enregistrement du premier numéro d’Ambitions – rebaptisé Succès pour les besoins du scénario – d’une main de maître tout en refusant, en partie par lâcheté, d’affronter les employés de Wonder menacés par le chômage. Pourtant, l’homme n’est pas dépeint en capitaliste cruel, mais en égoïste qui se pensait souvent sauveur sans toutefois pouvoir aller au bout des aventures qu’il débutait. Amoureux de lui-même, il aimait au fond bien plus jouir de la renommée que lui apportaient ses réussites que de l’argent qu’il en tirait, sans toutefois renoncer aux plaisirs terrestres.

Bernard Tapie sur le plateau de l’emission « Ambitions » sur TF1, 1987 © CHEVALIN/TF1/SIPA Numéro de reportage : TF135000439_000015

Toute sa vie, ce titi s’est battu pour être reconnu à sa valeur, pour « niquer » les grands qui le méprisaient. La série bascule d’ailleurs d’un registre laudateur à un registre tragique sur la fin, comme si l’ombre pesante de Bernard Tapie finissait par s’effacer, comme si ce fut peut-être pour le mieux qu’il chuta. Elle se conclut par sa plus grande réussite et son plus fatal échec. D’abord, évidemment, les années football où son énergie et sa vista lui permirent d’amener pour la première fois un club français sur le toit du monde. Est-ce cela qui lui donna des ambitions politiques ? Est-ce le charme de Mitterrand qui opéra sur Tapie ? Reste que cet écart ne lui fut pas pardonné. Le début de la fin de Tapie c’est bien la politique. Négligeant ses entreprises, brassant du vent au ministère de la Ville pour des chimères, l’homme des succès n’aurait pas dû se contenter d’une place de second. Il n’aurait dû entrer en politique que pour la place de numéro 1, à l’image justement de Silvio Berlusconi qui a lui réussi à ne jamais être défait – il faut dire qu’il est peut-être plus aisé de s’en sortir de la sorte en Italie, mais passons.

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La scène majeure de cette belle série, tout à fait au niveau des biopics américains, est cet entretien avec Éric de Montgolfier, filmé en clair-obscur comme pour mieux souligner le crépuscule d’un homme exceptionnel, un ogre capable de multiplier l’argent pour mieux le perdre à la fin. Bernard Tapie affronte pour la première fois la réalité qu’il avait cherché à fuir, que ce soit l’affaire Valenciennes ou la faillite d’Adidas. Il entrevoit qu’il n’est qu’un homme, mortel et susceptible de perdre. A-t-il été la victime de multiples machinations ? En partie, mais il n’était pas non plus un saint. Reste au moins un homme, avec ses failles et ses fulgurances, qui a laissé une trace profonde dans l’inconscient collectif français des quarante dernières années. Ça n’est pas donné à tout le monde.

Sur Netflix. 7 épisodes de 55 minutes.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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