S’il y a bien une chose que le monde entier nous envie, ce n’est – contrairement à ce que prétend la légende urbaine de nos grands médias – ni notre gastronomie, ni notre presse, ni notre chemin de fer, ni notre « exemple-de-démocratie », ni notre « école-de-la-république », ni nos première, deuxième et troisième dames du président, ni notre septième art, ni notre industrie, ni notre police… (j’arrête là, la liste est trop longue).
Non, la seule richesse de notre identité française qui laisse encore admiratifs les étrangers, c’est notre littoral, et plus particulièrement notre façade atlantique et ses côtes bretonnes. Mais même ce bout de patrimoine français est menacé de risibilité puisqu’aujourd’hui, la musique bretonne se résume à… Nolwenn Leroy. Pourtant, l’un des plus fervents défenseurs et représentants du genre, vulgarisateur de la guitare celtique dans les années 70, continue de tracer son sillon avec une constance et une qualité admirables.
Son nom, Bernard Benoit, ne vous évoque sans doute pas grand-chose. Sa musique contient toute la Bretagne, de ses Fest-Noz à ses vers luisants, en passant par ses contes et mythologies celtiques, sources d’inspiration inépuisable pour les auteurs d’heroic fantasy (la série de bande dessinée Thorgal en est un exemple). Dans ses livrets d’albums, Bernard Benoit nous parle ainsi – entre autres légendes druidiques – de Regina, ville voisine de Dinard et Saint-Malo engloutie en 732, et à propos de laquelle une rumeur court toujours aujourd’hui dans la région : « Les filles de Regina avaient la peau si blanche et transparente que, lorsqu’elles buvaient du vin, on pouvait le voir couler à travers leur gorge ». Cette Bretagne sauvage et folklorique, glorifiée par Pierre-Jakez Hélias, foulée par des chevaux et des hommes bouffis d’orgueil (beaucoup de bretons seniors sont restés indépendantistes de cœur), berceau de Chateaubriand et refuge de Jean-Edern Hallier, Bernard Benoit la sublime dans ses chants instrumentaux, entre motifs de cordes tissés allegro presto à la façon d’un Django Reinhardt bigouden et nappes synthétiques aux embruns chauds. Parfois, un saxo vient polir ces galets sonores avec son blues de Cornouaille.
Tout comme le cinéaste Andreï Tarkovski, Bernard Benoit emprunte la route de la nostalgie, propice à un état de contemplation mystique, loin des voies de garage du matérialisme. « On parle partout de faire des réformes, de modifier le cours de choses, de respecter l’environnement. Et pendant ce temps-là, la mer monte », observait le musicien dans les pages de Ouest-France l’an dernier.
La pochette de son nouvel album montre un village et son église (probablement vide, heureusement) submergés par les flots. Pochette non progressiste s’il en est : difficile de ne pas y voir une métaphore de notre déclin civilisationnel.
Depuis les années 70, âge d’or de l’industrie de la musique traditionnelle (Tri Yann et consorts), Bernard Benoit a fait son chemin, dans la lumière des projecteurs au départ – contrat discographique avec Polydor, concerts en France et à l’étranger –, puis dans la discrétion de l’autoproduction aujourd’hui. Certes Alan Stivell, Dan Ar Braz et Gilles Servat restent les emblèmes de la musique bretonne traditionnelle, mais Bernard Benoit a osé transcender la lourde matrice originelle par un mélange des genres (musique classique, celte, new age, ambient, etc.) personnel – meilleur moyen de toucher le cœur universel – et clair comme de l’eau de roche.
Au début des années 80, il tenait un cabaret à Dinan, Le Prélude. Sans doute en a-t-il entendu, des envolées lyriques, des brèves de comptoir régionales du genre : « Allez, une petite dernière bolée pour la route… du rhum ! ». Aujourd’hui, le multi-instrumentiste prend son envol avec une musique qui porte loin, dans une ascension toujours plus atmosphérique. Une œuvre quadragénaire au pouvoir de triskèle forgé aux sources de l’âme bretonne.
Alors, entre d’un côté la cacophonie de Paris-Plages, ses verts luisants (les écolos en maillot de bain fluo), ses Fest-Noz (DJ Hidalgo met le feu) et ses mythologies (ses mythos surtout), et de l’autre, les marées musicales de Saint-Jacut-de-la-mer, Lancieux et autres rivages contemplatifs, préférez toujours l’original, l’or Regina.
Et pendant ce temps-là, la mer… de Bernard Benoit (autoproduction, CD distribué par Coop Breizh et disponible sur les sites de vente en ligne).
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