Le Figaro a annoncé, le 28 janvier, que le ministère des Finances supprimerait 2130 postes en 2019. Une goutte d’eau dans l’océan de fonctionnaires qui travaillent à Bercy. Et si c’était eux la vraie raison qui empêche le gouvernement d’agir contre l’optimisation fiscale ?
L’optimisation fiscale n’a pas bonne presse puisque, bien qu’incontestablement légale, elle est perçue comme une manœuvre déloyale des riches pour se soustraire à la solidarité de l’impôt. Et de fait, elle devient indéfendable lorsque des mastodontes comme Amazon ou Google et même notre champion du CAC 40, Total, ne paient pas ou très peu d’impôts sur les bénéfices réalisés en France. Fiscalistes et experts-comptables hexagonaux permettent ainsi à leurs clients d’économiser environ 20 milliards d’euros par an. Des milliards perdus que le commun des mortels assimile, certes abusivement, à de l’évasion fiscale – c’est à dire à la fraude.
Taxer toutes les entreprises, c’est assez simple…
Pourtant, anéantir l’optimisation fiscale des entreprises se révèle théoriquement assez simple : il suffit de la rendre sans objet. Les montages fiscaux qu’elle induit reposent tous sur la diminution du bénéfice imposable. Un exemple facile permet de comprendre ses principes de base. Google France vous vend 100 € de publicité et fait un bénéfice de 50 € juste avant que Google Irlande ne lui facture 49 € de royalties pour exploiter sa marque. Reste 1€ de bénéfice imposable en France à 33,33% – les 49€ restants l’étant au taux irlandais de 12,5%. C’est aussi simple que cela. Fort justement, le gouvernement français envisage de taxer les GAFAM, non plus sur leur bénéfice, mais sur leur chiffre d’affaires à hauteur de 3% – un taux punitif au demeurant, mais mérité pour ces champions de la mauvaise foi. Tous les artifices déployés par les fiscalistes de Google ou d’Apple s’effondreront immédiatement après l’entrée en vigueur de cette taxe.
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Étendre ce principe à Total et à tout le CAC 40, puis aux 10 millions de sociétés françaises, ne présente aucune difficulté. A condition, bien sûr, de supprimer tous les autres impôts, qu’ils soient indexés sur les bénéfices ou la production. Il existe au demeurant en France presque autant de fromages que de prélèvements – 239 au dernier comptage. Instaurer une taxe unique de 1,65% sur le chiffre d’affaires des entreprises devrait rapporter à l’Etat près de 100 milliards d’euros, soit l’équivalent du montant actuel de l’impôt sur les sociétés (IS – 26 milliards) et de tous les autres impôts de production (72 milliards). Notez au passage qu’on ne parle jamais de ces derniers, bien qu’ils représentent trois fois le montant de l’IS – et offrent un terrain de jeu plus délicat pour des fiscalistes même très inspirés. Une taxe unique constituerait pour eux une catastrophe.
…mais Bercy a ses raisons que la raison ignore
Si l’optimisation fiscale nourrit ainsi grassement experts-comptables et avocats fiscalistes, la complexité du système fiscal français donne, avant toute autre considération, une raison d’être aux 103 000 fonctionnaires de Bercy. Concevoir des règles absconses et les formulaires qui les accompagnent pour ensuite enregistrer et contrôler des dizaines de millions de déclarations multipliées par des centaines de prélèvements, voilà autant de carburant pour nos dynamiques contrôleurs des impôts. En Allemagne, curieusement, pour 83 millions d’habitants, on dénombre seulement 54 000 fonctionnaires au sein de l’administration fiscale – et sans avoir mis en place de taxe unique sur le chiffre d’affaires. Mystérieux, non ? Les couloirs de Bercy doivent être en pente et on y marche sans doute plus lentement que dans ceux de Berlin.
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Avec l’adoption d’une taxe unique pour les entreprises, la France réaliserait la promesse d’une stricte égalité entre Amazon, Total et votre garagiste. On peut même rêver d’un système comportant deux tranches pour que votre garagiste paie moins d’impôts qu’Amazon – alors qu’aujourd’hui il se voit plus taxé. Cette justice fiscale enfin établie serait par ailleurs une bénédiction pour les entreprises en termes de simplification. Tous les coûts induits par des centaines de prélèvements courtelinesques disparaîtraient et pourraient être réinvestis ailleurs (salaires, recherche et développement, etc.). Cette logique simplificatrice pourrait s’étendre aux particuliers avec les mêmes effets vertueux, sans pénaliser les recettes de l’Etat.
Hélas ! cette approche remettant en cause des dizaines de milliers de jobs de pieux fonctionnaires dévoués au maquis de règles institués par eux (pour eux ?), on voit mal un quelconque ministre des Finances se saisir du dossier. Représentant 2% du nombre de fonctionnaires à Bercy, les 2 130 suppressions de postes annoncées pour 2019, le 28 janvier, relèvent de l’anecdote. La fin de l’optimisation fiscale ressort quant à elle du fantasme, puisqu’en définitive, la survie de Bercy en dépend.
Bercy et la balance des payés
Une part significative de nos impôts n’apparaît en réalité destinée qu’à financer la caste qui, au nom d’un intérêt général de façade, les conçoit, les prélève et les contrôle. Toute simplification s’assimile pour elle à une déclaration de guerre. A l’instar des fiscalistes spécialisés dans les holdings aux îles Caïmans, l’administration vit d’une réglementation démente qu’elle s’ingénie à complexifier chaque année. Fiscalistes et fonctionnaires se révèlent des alliés objectifs et non des ennemis contrairement à ce que croient les naïfs.
La bonne nouvelle – car il y en a une – c’est que si l’on voulait vraiment faire des économies, contrairement au disque usé que nous servent médias et syndicats de la Fonction publique, il ne serait nul besoin de supprimer des postes de policiers, d’infirmières ou de professeurs.
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