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Benoît XVI, ton nouveau voisin de palier


Benoît XVI, ton nouveau voisin de palier

Village planétaire. Je n’ai jamais compris l’expression et je tiens pour des gogos ceux qui lui prêtent le moindre sens. Ils ignorent au moins deux choses : ce qu’est un village et ce qu’est une planète. Pourtant, la crise aidant, on nous rebat les oreilles depuis quelques mois de ce terme inventé par McLuhan en 1967. L’universitaire canadien venait alors de se faire installer le téléphone dans son appartement de Toronto, avait trouvé le procédé fort ingénieux et en avait sorti un essai : The Medium is the message. Il faut dire qu’à l’époque McLuhan ne savait composer que le numéro de l’horloge parlante et chaque matin, durant dix ans, il l’appela à 10 heures précises pour vérifier qu’il était bien 10 heures. Le jour où il apprit qu’il existait d’autres numéros, que l’on pouvait parler dans le combiné et s’attendre même à recevoir une réponse, il était trop tard : McLuhan était déjà mort.

Les choses en seraient restées là s’il ne s’était pas trouvé pourtant quelques penseurs d’envergure mondiale – comme Jacques Attali ou Alain Minc pour ne citer que les plus brillants – pour populariser le terme de « village planétaire » et le faire entrer dans le langage courant. Je ne dis pas qu’Internet n’a rien changé à la marche du monde : le type de la campagne qui devait mettre un imperméable beige, prendre un billet de seconde classe et monter à la ville pour aller au ciné porno n’a plus besoin que d’une connexion haut débit pour mater chez lui des filles se gamahuchant avec distinction. Hier encore, il était obligé de se mettre sur son trente-et-un pour assister à un meeting de Nadine Morano : aujourd’hui il peut suivre, installé dans son canapé, une canette de bière à la main, les circonvolutions rhétoriques de la plus brillante parlementaire française de sa génération. C’est là le principal apport d’Internet à l’humanité : les hommes qui autrefois devaient enfiler un pantalon s’ils voulaient participer à la marche du monde peuvent rester en caleçon pour s’en gratter une sans réveiller l’autre.

Moi, remarquez, le village global, je ne m’en soucie guère : je vis dans un immeuble planétaire (global building). Au rez-de-chaussée, il y a un restaurant chinois, assez convenablement tenu par une famille de boat people qui a abandonné la navigation en solitaire pour remplir de nems et de corbeilles cinq bonheurs les ventres occidentaux affamés. Au premier étage, un couple d’homosexuel sans enfant (les pauvres, l’un d’entre eux est stérile) fait face à une octogénaire catholique et tradi. Au second étage, nous partageons le palier avec un médecin noir qui vit à la colle avec une sud-américaine reconnaissable de loin à son bonnet péruvien et à sa flûte de pan, tandis que le troisième étage abrite les Cohen et, face à eux, un retraité de la Sparkasse devenu antisémite notoire le jour où Mme Cohen, sa voisine, a prétendu que son chien n’était pas propre et qu’il avait fait ses besoins sur son paillasson. Regardez c’est encore frais et n’allez pas me dire que votre sale clébard n’y est pour rien.

Tout cela forme une micro-société aussi parfaite que solidaire : quand un voisin manque de quelque chose, il est suffisamment poli pour ne pas déranger les autres. Lorsque nous nous croisons dans l’escalier nous sommes assez respectueux de notre prochain pour ne pas nous saluer et risquer de nous perdre dans une conversation qui, de toute façon, ne déboucherait sur rien d’autre que briser le fragile équilibre de notre diversité locative.

Et voilà que, patatras, le ciment qui faisait toute la cohésion de mon immeuble planétaire vient de s’effriter hier soir sur les coups de 20 heures. L’une des locataires m’a adressé la parole. L’ascenseur était en panne et je m’étais résolue à gravir les trois étages qui me séparaient de mon appartement lorsque, au premier, la porte de Madame Wimmzer s’est entrouverte à mon passage.

– Psst, psst, Frau Kohl, Frau Kohl ! Une chose très grave est arrivée. Jésus, Marie ! L’antéchrist ! Il est là !, me lança-t-elle, l’air aussi ahuri qu’un Badiou[1. Alain Badiou, philosophe français. Après avoir été le pote de Pol Pot, il devint le pote de Paul, le saint.] découvrant que Sarkozy est de droite.
– Voyons, Frau Wimmzer, calmez-vous. Vous avez pris vos médicaments ?
– De l’eau de Lourdes, trois fois. Mais rien n’y fera !, pleura la vieille bigote en me tirant par la manche pour me faire entrer chez elle.

La porte se referma sur moi. Je faisais face à ce qu’une protestante comme moi n’aurait jamais pu imaginer, même dans ses marrades antipapistes les plus achevées. C’était comme un autel vaudou qui trônait dans la salle à manger de Madame Wimmzer. Une statue en plâtre de bonne taille occupait le plus gros de la carrée. Sans doute moulée par les pieds d’un artiste unijambiste, la ressemblance avec Pie XII ne frappait pas au prime abord, mais l’inscription sur le socle ne laissait aucun doute. C’était bien lui. Des dizaines de photos, de portraits et de médailles votives représentant le pape Pacelli s’étalaient sur les murs. Des bougies illuminaient l’endroit et l’odeur de l’encaustique mêlée à celle du renfermé donnait passablement l’idée d’un puissant encens.

Madame Wimmzer me tendit la Badische Zeitung du matin, se signa et, un chapelet à la main, s’agenouilla péniblement sur un prie-dieu. Le journal faisait une manchette sur la nouvelle du jour : « Le pape fait son entrée sur Youtube ! »

J’eus beau expliquer à Madame Wimmzer ce qu’était Youtube, que ce n’était pas un site pornographique comme elle le croyait, ni qu’il fallait être nécessairement drogué, prostitué, admirateur de Belzébuth ou lecteur des pages éco du Figaro pour le fréquenter et y publier des vidéos. Rien n’y fit.

– Il nous redonne la messe en latin, il nous réintègre dans la communion de notre Sainte Mère l’Eglise, il nous redonne nos évêques – et des pas mal du tout ! Tout ça pour au final montrer Ses Saintes Fesses sur Internet ! Seigneur, délivre notre Pape de Youtube ! Délivre notre Pape de Youtube !

Avant de finir totalement noyée sous les aspersions d’eau bénite dont elle me gratifiait depuis dix minutes déjà, je m’éclipsai, sans mot dire, abandonnant la vieille Wimmzer à ses sanglots tridentins. Après la soutane dans les dents, la webcam dans la mitre : les temps changent[2. Les temps changent si profondément d’ailleurs que le site Youtube du pape est disponible en quatre langues : anglais, italien, espagnol et allemand. La francophonie progresse.].



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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