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Benoît Hamon, un monde qatari d’avance?


Benoît Hamon, un monde qatari d’avance?
Sipa. Hasan Jamali/AP/SIPA.
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Sipa. Hasan Jamali/AP/SIPA.

Le revenu universel séduit les électeurs de Benoît Hamon à la primaire de la gauche ; il rebute ceux de Manuel Valls, rocardiens responsables, et sans doute en partie ceux de Montebourg, héritiers d’un productivisme ouvriériste et volontiers patriote. Un sondage Opinion Way permet de saisir la sociologie relative des trois électorats. On y apprend notamment que Benoît Hamon a fait le plein auprès des actifs des catégories socioprofessionnelles supérieures (142 % des électeurs de cette tranche alors que Valls en recueille 23 %). Dans un article des Echos, Bruno Jeanbart précise : « Des idées comme le revenu universel ou l’avenir des conditions de travail plaisent beaucoup à ces salariés pas forcément très fortunés mais au capital culturel élevé. Benoît Hamon a séduit la gauche des villes ». Cette mesure phare de Benoît Hamon nous semble révélatrice d’un certain paradoxe de cet électorat. Pour le saisir, nous allons commencer par envisager les conséquences probables de l’adoption du revenu universel.

Des techniciens de surface immigrés

Un des arguments de Benoît Hamon consiste à rappeler que les emplois non-qualifiés se raréfient en France, du fait d’une désindustrialisation massive. Cependant, il restera toujours un certain nombre d’emplois non exportables, pour lesquels aucune qualification n’est nécessaire, et qui de plus n’ont aucune attractivité. Éboueur, balayeur de rue, femme de ménage : ces professions essentielles à notre environnement immédiat sont tellement dévalorisées que la novlangue managériale a cru bon de les euphémiser : on parle de technicienne de surface, ou d’agent de propreté urbaine.

Ces emplois, mal payés et peu valorisants, qui voudra les occuper lorsque le revenu universel sera en place ? Beaucoup de citoyens préféreront – on les comprend – employer leur temps à des tâches moins ingrates, quitte à travailler à temps partiel pour compléter l’allocation mensuelle. Bien entendu, certains choisiront de cumuler revenu universel et travail à plein temps, fut-il ingrat, mais il n’en reste pas moins probable que la France, une fois cette mesure adoptée, aurait un grand besoin de main d’oeuvre non qualifiée pour occuper des secteurs d’emploi en partie désertés. L’immigration y suppléerait sans doute. Il n’y a qu’à observer à quel point, dans nos rues, ces métiers sont d’ores-et-déjà investis par des employés « racisés » pour se convaincre d’un tel scénario.

Par ailleurs, il est évident que si l’Etat distribuait un salaire à vie à chacun de ses citoyens, l’acquisition de la citoyenneté serait beaucoup plus difficile. Les critères pour les naturalisations ne concerneraient plus seulement les qualités de l’impétrant (maîtrise minimale de la langue, manifestation d’un désir…) ; les considérations économiques entreraient en jeu : de combien de nouveaux citoyens peut-on se permettre de charger le budget de l’état ? La conséquence en sera inévitablement le resserrement du goulot d’accès à la citoyenneté française.

Avec la mise en place du revenu universel, nous aurons donc un besoin massif de main d’œuvre immigrée non-qualifiée pour occuper des postes qui ne seront plus assumés par les Français ; par ailleurs, ces immigrés auraient infiniment moins de chance d’accéder un jour à la nationalité française.

Revenu universel et postes ingrats

Or, on sait que l’immigration ne fonctionne que si les immigrés ont une perspective de progression dans la société d’accueil. Si cette société semble leur tourner le dos, ils n’ont aucune raison de consentir à des renoncements culturels pour s’y intégrer. La « panne de l’ascenseur social », selon la formule consacrée, la fermeture du marché du travail, ou la tendance à l’auto-reproduction des élites ont évidemment joué un rôle dans le sentiment d’exclusion ressenti par un grand nombre d’individus d’origine immigrée, et dans le repli communautaire qu’entraîne ce sentiment.

Ainsi, avec le revenu universel, des étrangers, en situation régulière ou non, occuperaient des postes d’autant plus ingrats que personne ne se soucierait d’en améliorer les conditions, puisque ceux qui les occupent n’auraient jamais vocation à devenir électeurs. Par l’effet d’une « préférence nationale » bien plus radicale que celle proposée par Marine Le Pen, le fossé se creuserait entre les nationaux et les résidents. Pour les premiers, certains métiers deviendraient tout simplement inenvisageables.

Le revenu universel nous ferait basculer dans un monde à la qatari : une citoyenneté quasiment inaccessible, car associée à des privilèges exorbitants ; des armées d’immigrés sollicitées pour assurer le fonctionnement quotidien du pays ; une coupure totale entre les deux. Les Qataris, souvent très riches et en tout cas exemptés d’impôts, n’ont aucune raison d’occuper des postes pénibles ; ces derniers sont tous assumés par des Indiens ou des Pakistanais, qui vivent en esclave dans une société dont ils n’ont aucune chance d’acquérir le moindre droit. Pendant que les citadins français vivraient leur rêve d’une oisiveté créative au service de l’épanouissement personnel, des pelotons d’immigrés feraient tourner la boutique…

Une gauche Terra Nova progressiste et délicate

Ce scénario n’arrivera sans doute pas, notamment parce que Benoît Hamon n’a qu’une très faible chance d’être président de la République. Cependant – et c’est l’objet de ma réflexion – il convient de se demander pourquoi l’électorat de Hamon ne semble pas tellement troublé par une telle perspective, ou plutôt pourquoi il ne s’est pas posé ces questions.

Cet électorat est progressiste et généreux. Il est composé de gens sympathiques et délicats, sensibles à ce qui rend une vie accomplie, au-delà des considérations statistiques ou matérielles. Le revenu universel est le signe d’une attention à ce qui est indicible dans une existence, et que la politique laisse souvent de côté. Cet électorat se demande, dans une perspective assez rousseauiste : comment faire pour que chacun ait les moyens de son propre accomplissement ?

Je ne crois pas qu’il faille se moquer d’une telle considération. Elle a le mérite de rétablir une hiérarchie des importances que le monde moderne ou le commentaire politique nous font souvent perdre de vue. Cependant, nous l’avons constaté, ces intentions généreuses semblent s’accommoder de conséquences désastreuses pour les autres.

Dans le même ordre d’idée, la GPA (gestation pour autrui) est réclamée par une frange de la population de gauche, sans doute congruente avec l’électorat de Benoît Hamon, au nom de l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels, de l’essentielle légitimité du « désir d’enfant », et de la liberté individuelle. Or, la GPA se traduit concrètement par la mise en location de ventres du tiers-monde, dans des conditions souvent douteuses. Là encore, au nom de l’accomplissement individuel, au nom de progrès sociétaux, on s’accommode d’une forme d’esclavagisme moderne.

Globaux mais pas trop

De même, cette classe moyenne urbaine et branchée est généralement ultra connectée, très consommatrice de téléphones intelligents fabriqués dans d’effroyables conditions en Asie, et qui sollicite des métaux lourds dont l’exploitation est une calamité écologique. Encore une fois, on consent à des sacrifices au lointain au profit d’un mode de vie de plus en plus indéfendable, et dont l’application universelle causerait un désastre planétaire.

Le revenu universel m’apparaît du même acabit. On réclame un avantage, un nouveau confort – qui à peine conçu se reformule comme un droit – sans souci de ses conséquences concrètes dans un monde global.

Dès lors, posons la question qui fâche : et si l’argument progressiste des hamonniens était le paravent d’une indifférence au monde ? Et si ces électeurs avaient trouvé le prétexte pour reconduire l’égoïsme bourgeois tout en se clamant de gauche ?

J’ai conscience qu’il peut sembler cynique de s’opposer au revenu universel sous prétexte qu’il faut bien que certains travailleurs soient encore obligés de faire éboueur ou balayeur. Il serait bon de réfléchir à un changement de société au profit d’une meilleure répartition du travail pénible, ou au moins de sa revalorisation. Mais le revenu universel n’est à mon avis pas la bonne solution, il aggraverait les inégalités en confiant les travaux pénibles à des individus privés de tout droit.

Il ne faudrait pas être injuste : les électeurs de Hamon ont certainement une conscience sociale et une inquiétude écologique réelles. Mais ont-ils mesuré les conséquences de ce qu’ils défendent ?



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est réalisateur de documentaire. Il vient d'achever l'écriture d'un premier roman et prépare un travail universitaire sur René Girard.

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