Nos amis les bêtes!


Nos amis les bêtes!

benjamin rabier moulins

L’animal est le nouveau combat idéologique des intellectuels à court de sujets. Les pauvres bêtes méritent-elles ce traitement inhumain ? C’est dégradant pour nos amis à poils et à plumes de passer à la casserole médiatique. On a beau patauger dans la gadoue toute la journée, on n’en garde pas moins sa dignité. Stop à cet odieux abattage en librairie ! Pas un philosophe pop’, un échotier de luxe ou un animateur chevelu qui ne soient lancés ces derniers mois dans la défense de la basse-cour à des fins mercantiles. Il commence à y avoir même un peu trop de monde autour de cette « lucrative » mangeoire éditoriale. Jadis, la cause animale était portée par Benjamin Rabier (1864-1939), illustrateur de grand talent qui enchanta des générations d’enfants.

Le Musée de l’Illustration Jeunesse de Moulins rend hommage à cet enchanteur de la ferme et de la savane. Jusqu’au 31 août 2015, l’exposition « Il n’y a pas QUE la vache qui rit » célèbre le 150ème anniversaire de sa naissance avec près de 350 pièces (dessins, objets, albums, etc…). Sur les marchés aux livres anciens, les œuvres de Rabier s’arrachent comme les originaux de Céline ou de Jules Verne. Les chineurs du dimanche chassent le Rabier sous toutes ses formes : cartes postales, jouets, images d’Epinal ou estampes scolaires. Dès qu’il y a la patte de l’artiste, le collectionneur accourt !

Le créateur des aventures du canard Gédéon en 16 volumes entre 1923 et 1939, de la célèbre Vache qui rit, de la Baleine des Salins du Midi ou encore d’Aglaé la chèvre, a beaucoup produit durant toute sa vie. On lui doit des projets colossaux comme les illustrations des Fables de La Fontaine. Il remettra ainsi à la librairie Tallandier 310 compositions dont 85 en couleurs. Et que dire d’un Buffon de 453 pages qui lui valurent pas moins de trois années de travail. Cet étrange phénomène, né d’une mère vendéenne et d’un père berrichon, fonctionnaire aux Halles de Paris la nuit et illustrateur le jour, est considéré comme un précurseur de la ligne claire. Hergé ne cachait pas son admiration pour ce maître qui avait réussi à donner des expressions humaines aux animaux. «  Et c’est à coup sûr de cette rencontre que date mon goût pour un dessin clair et simple, un dessin qui soit compris instantanément. C’est, avant toute chose, cette lisibilité que je n’ai cessé de rechercher moi-même » écrivait-il. Le Tintin d’Hergé n’est pas sans rappeler le personnage de Tintin-Lutin créé par Rabier en 1898, reconnaissable déjà à sa houppette rousse et à ses pantalons de golf.

Avant de devenir la star du bestiaire, Rabier avait eu sa période de vache maigre. Il avait pourtant décroché dès 1880 un prix de dessin de la ville de Paris. Ses dons mirent cependant plusieurs années avant de s’afficher sur tous les murs et les cahiers de France. L’émergence d’une presse jeunesse au tournant du siècle dernier, les progrès techniques en matière d’imprimerie et de photogravure, l’instruction publique en plein essor ont rendu la « bande-dessinée » populaire. La connaissance et le goût de la lecture passeront désormais par la représentation animale.  Les très nombreux journaux illustrés pour adultes et enfants feront la gloire de Rabier qui proposera également ses services à la publicité naissante (Banania, Dubonnet, Maggi, La Belle Jardinière, Pétrole Hahn et même l’emprunt de la Défense Nationale de 1916). Presque un siècle plus tard, sa Vache qui rit reste une icône intemporelle. Et il est bon de méditer cet aphorisme de Rabier que n’aurait pas renié Pierre Dac de L’Os à moelle: « Si l’on peut dresser un chien à faire le beau, à sauter dans un cerceau ou à traîner une petite voiture, il faut une patience à nulle autre pareille pour le faire rire ou pleurer ».

Exposition Benjamin Rabier – Il n’y a pas QUE la vache qui rit – Jusqu’au 31 août 2015 – Musée de l’Illustration Jeunesse à Moulins.

*Image : wikicommons.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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