À l’heure où j’écris ces lignes, L’homme nécessaire de Bénédicte Martin ne figure sur aucune liste de prix littéraires. Or, ce roman est écrit dans un style éblouissant, entre mystique bataillienne et poésie rimbaldienne. C’est la flamboyance de l’amour qui se déchaine sous nos yeux interdits. Un amour où la chair exulte. C’est la vie qui sort par tous les pores de la peau. Une peau mordue, griffée, léchée par le désir jamais assouvi de l’autre, le mâle superbe, pas généreux, alcoolique, fou, adepte de la varappe citadine pour gueuler que ce monde est un monde de frileux, de mous, de donneurs de leçons incapables de vivre comme un être humain doit vivre, debout.
Un hennissement de vitalité érectile
La chair est vivante dans ce roman qui frappe au ventre. C’est un hennissement de vitalité érectile contre la frustration ambiante. L’héroïne se nomme Bénédicte, c’est la « môme » de celui qui escalade les façades d’immeubles parisiens, « l’homme sans écharpe », auteur à succès, écrivain voyageur, aussi pressé que Paul Morand et aussi ténébreux que Blaise Cendrars. C’est autobiographique puisque Bénédicte raconte sa passion amoureuse avec Sylvain Tesson. Ça va vite, pas de temps mort, l’amour l’exige, l’empoisonnement de la planète également. Il y a des descriptions sans appel. Quand les deux amoureux survoltés se rendent sur la tombe de Jean Genet, on prend la réalité en pleine figure. « Larache est pestilente. C’est une décharge à ciel ouvert sur une falaise où des familles se baignent dans des paquets d’immondices et dans la merde (…) J’y ai vu des nourrissons rampés sur le bitume lui-même dégoulinant de la pisse des chiens errants. » L’écrivain n’est pas là pour écrire son roman familial, saupoudré de bons sentiments, dans les quartiers bourgeois d’un Paris qui s’emmerde comme un rat mort.
Écrivain est un métier dangereux
Quant au couple, il ne résistera pas. Et ce n’est pas le temps qui est responsable. L’homme ne bande plus. Bénédicte a beau tout tenter jusqu’à l’épuisement, en vain. Le passé de la narratrice remonte comme une odeur d’égout avant l’orage. C’est de sa faute, hurle « l’homme sans écharpe ». Il déverse son fiel : « C’est tout ce que tu écris qui me fait débander. Tes histoires publiées de modulations de râle quand tu vivais avec un matador à la bite en or et qui te couchait sur sa muleta, les deux oreilles et la queue sanglante du toro bravo dans votre fange d’assassins. »
Écrivain est un métier dangereux, surtout quand on décide de ne rien cacher de sa vie sexuelle. C’est la rupture. La dépression envahit Bénédicte. Elle se tire à Singapour, le cœur bouffé par la tristesse. « L’homme à l’écharpe » dévisse un soir de beuverie. Terrible chute. Coma, opérations, séquelles. Sylvain Tesson s’en sort, esquinté. Bénédicte reprend des forces, écrit ce roman uppercut, sait qu’elle sera « jusqu’au bout une femme souleveuse de draps, de râles, de cuisses et de pénis ». La rédemption par l’écriture.
Bénédicte, quand elle était à Vézelay avec l’alpiniste, aurait dû se recueillir sur la tombe de Georges Bataille. Je suis sûr qu’elle aurait aperçu les guenilles pendantes d’Edwarda.
Bénédicte Martin, L’homme nécessaire, Sable Polaire.
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