Edouard Philippe, Richard Ferrand, Benjamin Griveaux… Les hommes du président se livrent à une drôle de guerre contre le Sénat à qui ils reprochent – sans le savoir ? – d’avoir fait son devoir. L’affaire Benalla perturbe la Macronie de façon bien surprenante…
C’est une banalité que de constater l’impéritie et l’amateurisme qui caractérisent le gouvernement d’Édouard Philippe et l’entourage d’Emmanuel Macron. On y rencontre des personnages accablants chez lesquels se mélangent médiocrité, inculture, cupidité et absence du sens du ridicule.
Le coq et les perroquets
Mais finalement, le pire est atteint lorsque l’Élysée sollicite les parlementaires, leur fournissant un kit d’éléments de langage absurdes et antirépublicains. La principale qualité exigée par LREM pour ses candidats devait être le psittacisme. Spectacle inquiétant que celui de ces petits télégraphistes mandatés pour aller faire le tour des plateaux multipliant les énormités. C’est ce qui vient de se produire avec le nouvel épisode sénatorial du feuilleton Benalla.
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On rappelle brièvement qu’utilisant ses prérogatives prévues par la Constitution, la commission des lois de la Haute assemblée s’est constituée en commission d’enquête. Elle a réalisé son travail, notamment par de nombreuses auditions, rédigé et publié son rapport, avant de respecter ses obligations et de saisir le parquet du tribunal de Paris pour des faits susceptibles de recevoir des qualifications pénales, dont elle avait eu connaissance. Respecter la Constitution et la loi française, manifestement, dès qu’il s’agit d’Alexandre Benalla, à l’Élysée on n’aime pas. Donc, pendant les travaux, multiplication des obstructions, des rodomontades et déploiement d’une propagande passablement scandaleuse.
Séparer Benjamin Griveaux du pouvoir
On ne reviendra pas sur tous les épisodes. On peut simplement rappeler l’offensive élyséenne relayée par les perroquets habituels au moment de la publication du rapport. Avec, sortant du bec, la dénonciation du crime abject soi-disant commis par le Sénat : « L’atteinte à la séparation des pouvoirs ». Avec Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, on possède un exemplaire de ce que le macronisme peut produire de pire. On prendra donc ses propos comme emblème de l’inanité des arguments invoqués pour tenter de désamorcer le caractère accablant du rapport sénatorial. Que nous dit l’homme qui coche toutes les cases : « L’Elysée aura l’occasion d’apporter des réponses factuelles sur manifestement beaucoup de contre-vérités qui se trouvent présentes dans le rapport ». Première observation : un mois plus tard, l’Élysée n’a apporté absolument aucune réponse factuelle malgré cette promesse…
Notre virtuose du droit constitutionnel poursuit : « Nous sommes très attachés à la séparation stricte des pouvoirs dans notre pays […] Mais je trouve curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs. » On se pince pour être sûr que l’on n’est pas dans un cauchemar, celui qui nous fait constater que le porte-parole du gouvernement de la République française se permet de proférer de pareilles énormités. Comme on va le voir, la séparation des pouvoirs a bon dos quand il s’agit de dire absolument n’importe quoi.
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Il serait donc curieux que les assemblées aient à se prononcer sur l’organisation du pouvoir exécutif. C’est pourtant ce que dit explicitement la Constitution dans son article 24 : « Le Parlement vote la loi. Il CONTRÔLE l’action du Gouvernement. Il ÉVALUE les politiques publiques. » L’article 51–2 indique explicitement que pour exercer ses missions les assemblées peuvent constituer en leur sein des commissions d’enquête. Qui dit mieux Monsieur Griveaux ? Mais comme pour vous la vérité ne semble pas être quelque chose d’important, vous ne vous arrêtez pas en si bon chemin et enfilez une deuxième perle avec cette sidérante affirmation qu’on va répéter pour être bien sûr de l’avoir entendue : « Si le pouvoir exécutif se prononçait sur l’organisation du travail des assemblées, on crierait à la fin de la séparation des pouvoirs » Heu… Monsieur le porte-parole, c’est exactement ce que prévoit la Constitution. Jusqu’à la réforme de 2008, dans le parlementarisme « rationalisé » initialement instauré en 1958, c’était le gouvernement qui fixait par priorité l’ordre du jour des assemblées. La réforme de juillet 2008 en a fait une compétence partagée, et la simple lecture de l’article 48 démontre bien que l’exécutif dispose encore et toujours de prérogatives très fortes et essentielles concernant « l’organisation du travail des assemblées ». Alors Monsieur Griveaux, soit vous vous moquez du monde – ce qui compte tenu de votre arrogance habituelle est l’hypothèse la plus probable -, soit vous devez lire la Constitution. Ce que tout cela démontre en tout cas c’est que vous n’avez pas grand-chose à faire à la place que vous a offerte Emmanuel Macron.
On ne touche pas à Benalla
Dernier épisode en date du feuilleton Benalla, la transmission au parquet par le bureau du Sénat d’un « signalement » au parquet de Paris. Immédiate levée de boucliers au sein de la Macronie en panique : on ne touche pas à Alexandre Benalla ! Face à l’abominable affront, le Premier ministre Édouard Philippe, entre deux déplacements au Havre pour faire démissionner son successeur à la mairie, a trouvé intelligent d’insulter le Sénat en refusant de s’y présenter pour la séance des questions au gouvernement. Richard Ferrand des mutuelles de Bretagne a, quant à lui, refusé d’apparaître sur une tribune aux côtés du président du Sénat. Bravades ridicules et déshonorantes, qui font peu de cas du fonctionnement de la République et du cadre juridique dans lequel tout ceci se déroule.
Une fois de plus, il faut revenir aux règles qui s’appliquent et dont l’examen démontre l’absence totale de culture républicaine des deux hauts personnages de l’État qui se livrent à ces pantalonnades.
Le Sénat n’a fait que son devoir
Le bureau du Sénat n’a fait que son devoir. On rappellera que les auditions devant les commissions d’enquête sont organisées par la loi et en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, tout mensonge y est considéré comme un faux témoignage lourdement sanctionné par l’article 434–13 du Code pénal. Par conséquent, si la commission d’enquête a relevé des faits susceptibles de recevoir les qualifications prévues par le Code pénal, elle devait en informer le parquet, en application du texte de l’ordonnance qui stipule : « Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l’assemblée intéressée. » Dès lors que les faits étaient apparus suffisamment caractérisés, le bureau de la haute assemblée avait compétence liée et était tenu d’en saisir le parquet.
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Comment peut-on donc affirmer, comme le font Premier ministre et autres chevau-légers de la Macronie, que l’application et le respect de la Constitution et de la loi puissent constituer des « opérations politiciennes » et des « atteintes à la séparation des pouvoirs ». Cette obligation de signalement pèse sur tous les agents publics. Et les sénateurs en seraient dispensés ? C’est d’autant plus inadmissible que c’est l’autorité de poursuite, c’est-à-dire le parquet soumis au pouvoir exécutif qui pourra donner suite ou non à ce signalement. De ce point de vue, compte tenu de l’attitude du parquet de Paris depuis l’arrivée de son nouveau « patron », l’entourage d’Emmanuel Macron n’a pas grand-chose à craindre.
La République des « factieux »
Dûment chapitrés, des petits soldats LREM sont montés au front. Munis de leurs éléments de langage concoctés en haut lieu et proférant force contrevérités, ils sont venus se déshonorer à leur tour. Une prime pour Florian Bachelier, avocat de son état, et donc juriste, qui n’a pas hésité à tweeter : « La justice est un sujet suffisamment complexe et sensible pour ne la laisser qu’à des professionnels dont c’est le métier et la formation. Je pense que les parlementaires ne savent pas rendre justice ».
La Justice est un sujet suffisamment complexe et sensible pour ne la laisser qu’à des professionnels dont c’est le métier et la formation. Je pense que les parlementaires ne savent pas rendre justice. #LaMatinale @CNEWS pic.twitter.com/MxWus4ceZ4
— 🇫🇷🇪🇺 Florian Bachelier (@F_BACHELIER) 21 mars 2019
Culot d’acier que de prétendre que les sénateurs ont rendu justice ou voulu le faire alors qu’ils n’ont que saisi l’autorité de la République compétente pour le faire. Monsieur Bachelier n’a même pas l’excuse de l’ignorance.
Les réseaux sont pleins de ces agressions politiques et mensongères contre le Sénat proférées par des députés qui ne voient aucun inconvénient à affaiblir les institutions républicaines. La palme cependant à un récidiviste : Sacha Houlié, avocat également et issu du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS) que Mitterrand qualifiait d’école du crime. Il ajoute la menace au mensonge: « Coup de force du Sénat qui s’érige accusateur public. La confusion des genres est totale. Sa méprise sur son rôle est une forme de déconnexion. Celle-ci devra être traitée ». Traitée comment Monsieur Houlié ? En supprimant le Sénat ? Ou mieux, en provoquant sa dissolution avec vos petits bras musclés ?
Coup de force du Sénat qui s’érige accusateur public. La confusion des genres est totale. Sa méprise sur son rôle est une forme de déconnexion. Celle-ci devra être traitée.
— Sacha Houlié (@SachaHoulie) 21 mars 2019
Décidément, qui sont ces gens, qui sont ces ministres, ces présidents d’Assemblée, ces parlementaires, ces collaborateurs, ces hauts fonctionnaires qui passent leur temps à brutaliser les institutions et à applaudir les violations de la loi ? Qui sont ces gens qui se précipitent pour défendre bec et ongles des dévoyés qui ont entouré et probablement entourent encore le président de la République. La réponse est simple : des factieux. Dont il est urgent que la République se débarrasse.
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