Après la guerre secrète, la guerre psychologique: difficile, voire impossible de démêler le vrai du faux dans les mille et une versions qui circulent autour de la fin de parcours d’Oussama Ben Laden. Et on ne se fiera donc pas a priori aux preuves formelles des uns (cf la fameuse « photo » d’Oussama mort diffusée par la télé pakistanaise et reprise aussi sec par toutes les chaines du monde) ni non plus aux démentis des autres (par exemple, ceux attestant la ferme volonté américaine d’arrêter si possible Ben Laden et non de l’exécuter froidement sur place, sans autre forme de procès).
Pour peu qu’on admette dans ce contexte précis une rhétorique good guys/bad guys –et c’est mon cas – on ne s’étonnera ni ne s’indignera des mensonges des uns ou des autres. Les méchants mentent parce qu’ils détestent la vérité, RAS. Et les gentils brouillent sciemment les pistes pour enfumer l’adversaire, quitte à laisser l’opinion internationale dans le flou. Les anglo-saxons, à la différence des francophones, ont d’ailleurs une expression toute faite et assez claire pour qualifier ce genre de camouflage délibéré, war lies, c’est-à-dire les mensonges de guerre[1. Churchill a eu un mot célèbre à ce sujet « in wartime, truth is so precious that she should always be attended by a bodyguard of lies” (« En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit être protégé par une garde reprochée des mensonges »). En conséquence de quoi, l’opération dont l’objectif était de cacher aux Allemands, par un tissu savamment élaboré des fausses informations, les détails du débarquement en Normandie a été appelée « Operation Bodyguard »], lesquels, précisons-le n’ont pas été inventés par les think tanks néocons pour justifier l’invasion de l’Irak : les Navy Seals d’Ulysse y avaient déjà eu recours pour entrer par surprise dans Troie. On notera au passage que ce travestissement des faits n’est pas réservé au traitement a posteriori de l’événement : il l’a précédé, avec son cortège imaginaire de grottes inexpugnables, de drones approximatifs et de coups d’épée dans l’eau qui faisaient tant rire les Guignols. Sans secrets ni menteries, il n’y aurait pas eu de happy end à Abbottabad.
Nous errons, pour reprendre la si belle expression d’Anton Ciliga, au royaume du mensonge déconcertant, ce qui n’est pas en soi un problème, à condition de bien le savoir. Alors quelle grille adopter pour tenter de se faire une opinion sur le cours des événements ? Chacun fera ce que voudra, mais perso, je privilégie une piste : s’en tenir aux faits.
– Ben Laden est mort.
– Ce sont des soldats américains qui l’ont tué.
– Le Président Obama a personnellement assuré la direction des opérations et a assumé cette responsabilité devant le monde entier.
– Le chef d’Al Qaida a été retrouvé au Pakistan en plein cœur d’une ville de garnison et à 300 mètres d’une Académie militaire.
– Les soldats qui l’ont tué sont arrivés et repartis en hélicoptère, ce qui est un mode opératoire généralement utilisé en territoire ennemi.
– Le Conseil de Sécurité de l’ONU a immédiatement légitimé l’opération en se félicitant solennellement de la mort d’Oussama Ben Laden
– On s’est débarrassé du corps en pleine mer[2. Je vous laisse compléter la liste au fil des jours]
Quant au reste, c’est simple : même quand les infos diffusées par la Maison Blanche, le Département d’Etat ou la CIA sont assez vraisemblables, elles sont si inextricablement mêlées à des éléments de pure intoxication qu’on aurait aussi tort d’y croire que de ne pas y croire.
Cela vaut pour les questions de détail (Ben Laden était-il armé, qu’est-il arrivé à son épouse, que s’est-il passé avec le second hélico, etc), celles qui taraudent légitimement les amateurs de belles histoires. Plutôt que d’attendre toute la lumière depuis Washington, faisons plutôt confiance à Hollywood[3. Perso, j’aimerais bien Bruce Willis en chef du commando, Robert Downey Jr en Petraeus et, of course, Denzell en Barack. Je n’ai pas d’idée pour Leon Panetta, sauf si le génial Henri Guybet parle américain sans accent] pour y répondre dans quelques mois.
Mais la suspicion amusée est encore plus de mise pour la question des questions, celle qui concerne le rôle du Pakistan, ou disons plutôt des Pakistanais, tant le pluriel semble obligatoire. Des Pakistanais ont-il aidés Ben Laden ? Probable. Des Pakistanais ont-ils contribué à sa localisation ? Probable aussi. Les premiers sont-ils les adversaires des seconds, ou bien sont-ce les mêmes ? Allez savoir, ou plutôt, n’essayez pas d’aller savoir !
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