Il existe sur terre des hommes plus malins que les autres. Ils appartiennent à cette élite qui sait bien que l’homme n’a jamais marché sur la lune, ni la lune sur l’homme, mais que les images ont été tournées par la Nasa dans un studio de télévision à Los Angeles. Ils savent bien que les autorités nous cachent la terrible vérité sur les Ovnis, et que les petits hommes gris à oreilles pointus venus de Pluton sont déjà parmi nous pour aspirer le contenu de nos cerveaux, avec la complicité croisée de la CIA et des francs-maçons. Absolument imperméables à toute tentative d’intoxication gouvernementale, ces hommes sont heureux d’avoir la conviction qu’Elvis Presley n’est pas mort, mais vit discrètement dans la suite d’un palace de Las Vegas. Quant à la mort de John-Fitzgerald Kennedy, les complolâtres savent bien que c’est un coup de J-R Ewing quand il était jeune et facétieux. Bref, eux sont au courant : on nous cache tout on nous dit rien !
Marion Cotillard, comédienne fatigante pour films sentimentaux industriels, n’a pas hésité à exprimer à la télévision, en 2007, ses doutes sur l’effondrement du World Trade Center, les premiers pas de l’homme sur la lune, et l’accident qui a coûté la vie à Coluche : « Je pense qu’on nous ment sur énormément de choses : Coluche, le 11-Septembre. On peut voir sur internet tous les films sur la théorie du complot c’est passionnant. C’est même addictif, à un moment. » Oui, étant entendu que les tours jumelles ont été évidemment détruites par les Chinois qui ont infiltré le Mossad et que Pierre Desproges n’est certainement pas étranger à l’assassinat de Coluche…
La mort d’Oussama Ben Laden, abattu par un commando des Navy-Seal à l’issue d’une longue traque pakistanaise, n’a pas fini d’alimenter la fantasmatique délirante des conspirationnistes. Pour eux, tout se tient sous le signe de l’occulte, et ils ne vibrent que pour cette sombre promesse pompée dans une série télé : la vérité est ailleurs. Les circonstances troubles de l’assaut final, la décision d’immerger rapidement la dépouille du terroriste dans l’océan, et la volonté du président Obama de ne pas divulguer d’images du cadavre de Ben Laden ne font rien pour éteindre un incendie complotiste dont nous n’avons pas fini d’éteindre les flammes. L’une des premières personnes publiques à avoir franchi le pas du « doute », sur un plateau de télévision français, est la chanteuse des années 70 Véronique Sanson : « C’est quand même un soi-disant assassinat de Ben Laden… « Soi disant » car on ne l’a pas tué et ce n’est pas lui….Ecoutez, jeter son cadavre dans la mer… Je ne sais pas… » Oui, car quand le complolâtre ne sait pas, il ne s’abandonne pas au doute, à la prudente suspension de son jugement, mais enclenche sa mécanique mentale romanesque.
Cependant, comme les complolâtres ne sont bien souvent qu’une attristante compagnie de paranos à l’entendement déficient, et qu’ils manquent généralement d’imagination (on note que le « complot », selon eux, est souvent impulsé par les États-Unis ou Israël…), proposons-leurs quelques pistes de travail, dont ils pourront librement s’inspirer.
Ben Laden est vivant, va bien, et sirote une piña colada à Miami Beach. Peu après la fin de la Seconde guerre mondiale une rumeur persistante sur Hitler fit le tour du monde, et prit la forme, aux USA, du slogan : « Hitler is alive, and well, and lives in Buenos Ayres ! » Oussama Ben Laden, créature de la CIA (comme ont aimé le rappeler bruyamment les éditorialistes américanophobes de service) a été mis discrètement hors de la circulation à la manière d’un témoin sensible dans un procès contre la mafia. On lui a proposé poliment de changer d’identité, de raser sa barbe coupable, et de se faire oublier dans la banlieue de Miami.
Salade, tomate, oignon ? Oussama Ben Laden a ouvert, dès 2002, plusieurs établissements Kebab Hallal dans le quartier de Barbès à Paris. Ben Laden a abandonné très tôt le secteur du terrorisme international pour se reconvertir dans celui, bien plus lucratif, de la restauration de quartier. Il propose aujourd’hui toute une gamme de sandwichs orientaux « décalés » (selon la critique gastronomique des Inrocks) dont le « Tora Bora » et le « Ground Zero ». Les Navy Seal américains, qui n’oseraient pas attaquer un patron de Kebab, ont préféré tuer un Pakistanais au hasard.
Ben Laden aurait été vu également à Memphis, Tennessee, lors d’une convention de sosies arabes sponsorisée par la CIA, ainsi qu’à l’arbre de Noël du FBI déguisé en Santa Claus. Ben Laden, retiré en Russie avec le soutien évident de Poutine, aurait pour projet de construire une statue géante de Raël en fondant l’or secret des nazis et celui qui était dans les sous-sols des tours jumelles. Ben Laden chanterait dans les chœurs du prochain album de Carla Bruni, avec l’appui du roi des Belges. Ben Laden serait chinois. Ben Laden – financé par le lobby hollywoodien – interpréterait un gardien de musée dans le prochain film de Woody Allen, dont l’action se passera au Pakistan.
Nous espérons avoir, par ces modestes suggestions, aidé les complolâtres à amorcer leur pompe à fantasmes. En attendant de lire ça et là dans les médias ces milles élucubrations paranoïaques de zinc dignes du Café des Sports, réjouissons-nous que l’ennemi public mondial n°1 ait été neutralisé durant la présidence d’Obama… Qu’en aurait-il été si G.W. Bush avait lui-même donné la mesure de cette dernière danse ? Il est dommage que les dirigeants américains n’aient pas compris – pour éviter ces dérives – que, dans cette affaire, ils avaient une seule chose à cacher : leur joie.
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