Loin des fausses oppositions entre masculinisme et gender fluid, Belmondo incarnait l’homme, tout simplement
Vous en avez peut-être assez des articles sur Belmondo. Mes camarades Jérôme Leroy et Thomas Morales ont d’ailleurs dit l’essentiel. Mais sa mort a provoqué un miniséisme en beaucoup d’entre nous, car il a fait partie de nos vies, et nous avons chacun notre Bébel personnel.
Parmi les nombreuses litanies lues sur les réseaux sociaux, mis à part le fait que c’est encore un pan de la France d’avant qui s’effondre, et que la médiocrité nous engloutit un peu plus chaque jour, ressort celle de sa virilité : « Belmondo, au moins c’était un vrai mec ». Cette histoire de virilité est un des problèmes de notre époque. Les hommes sont en perte de repères, et souvent se caricaturent, ou sont caricaturés. D’un côté nous avons les droitards, qui la surjouent, parfois jusqu’au ridicule, en témoignent les cours de drague de Soral ou la virilité de carnaval de Papacito (je m’étais d’ailleurs exprimée à ce sujet). D’aucuns me diront, concernant ce dernier, que c’est du second degré, mais je reste persuadée du contraire. Psychologie de bazar que d’affirmer qu’une telle attitude cache une faiblesse, mais ne passons-nous pas notre vie à composer avec nos faiblesses ? Et de l’autre côté du spectre, nous avons les progressistes, les hommes qui se disent féministes (les pires) et les gender fluid, dont l’identité sexuelle est incertaine. Nous constatons encore une fois le triste schématisme de notre société.
Et Belmondo dans tout ça, me direz vous ?
Belmondo possédait une forme de virilité que je qualifierais d’ironique, il la mettait à distance, et, consciemment ou pas, il la questionnait. Un peu comme un gamin. C’est comme cela que je perçois le Belmondo des années 70/80: un môme qui joue au voleur, qui joue à faire des cascades et à qui Henri Verneuil offre le cadeau de voltiger sur les toits du métro aérien. Et pour cela, il invente des onomatopées et choisit les plus jolies filles comme partenaires de jeu.
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Nous avons tous notre Bébé personnel, ai-je dit plus haut. Le mien est celui de la Nouvelle Vague, j’aime les truands poétiques. Pour moi, le Poiccard d’A bout de souffle et le Pierrot Ferdinand de Pierrot le fou sont davantage des poètes que des voyous. Ou alors ce sont des voyous poètes. Ces personnages ont donné une intensité poétique à leurs vies, sous des prétextes assez futiles finalement. Puisque la vie est dégueulasse, autant en faire une œuvre d’art, où la mort sera esthétisée et légère. Comme des enfants, encore une fois, qui joueraient à mourir… D’ailleurs qu’est-ce que Pierrot le fou sinon un long poème ? D’une beauté surhumaine écrira Aragon, et qui ne pouvait se terminer que dans l’Eternité rimbaldienne, cet autre enfant voyou magnifique.
Deux facettes
Le film où Belmondo joue sur les deux facettes, celui où la Nouvelle Vague rencontre le « cinéma de papa » avec Jean Gabin, c’est à mon sens Un singe en hiver. La confrontation entre virilité tranquille et virilité enfantine est d’ailleurs peut-être la clé de la beauté du film.
Belmondo et Gabin vont s’entraîner mutuellement à rêver encore une fois leurs jeunesses, l’un mimant un toréador, pendant que l’autre se rejoue l’Indo. Et tout ça se termine par un feu d’artifice, comme pour célébrer la fin de la fête. Fini de jouer !
Jean-Louis Murat a écrit à propos de ce film une chanson éponyme magnifique, qui encapsule le désenchantement que nous ressentons tous quand la fête qu’est la jeunesse est finie. Qu’on la vive en Indochine ou dans les boîtes de nuit. « Je suis rentré d’Indochine et j’ai trouvé, une vie bien trop facile, bête à crever ». Belmondo aura peut-être servi à ça : nous sortir grâce à ses films de nos vies bêtes à crever et de nos schémas préétablis.
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