Belmondo dans la peau


Belmondo dans la peau

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À la question « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? », j’ai répondu spontanément : « Jean-Paul Belmondo ». J’avais sept ans, l’âge de raison. Une évidence, une révélation aussi pour n’importe quel gamin de ma génération. Aujourd’hui encore, à quarante ans, je regarde avec suspicion, l’homme qui n’a pas voulu être Belmondo, comme si ce vieil enfant avait souffert d’une maladie, d’un manque, d’un traumatisme peut-être. Je le plains sincèrement. Belmondo a rempli notre vie. Il est venu combler nos existences brouillonnes. Architecte de nos pensées, il a consolidé nos fragiles fondations. Sans lui, que serions-nous devenus ? Sans lui, aurions-nous découvert Félicien Marceau, Antoine Blondin, Charles Denner, Michel Beaune, Claude Brosset, les Ford Mustang blindées, la Jaguar XJ6 de L’Héritier, la Super Seven de Flic ou Voyou, la Fiat 131 Supermirafiori du Professionnel, Rémy Julienne, François de Roubaix, Geneviève Bujold, Maureen Kerwin, les arrivées en hors-bord ou la peau cuivrée de Carlos Sotto Mayor ? Son monde à lui était plus beau que le nôtre. Assurément. Il arrivait dans nos salons, pétard en main, sourire moqueur, charmeur et bagarreur, en réveillant nos espoirs. Il enchantait nos dimanches soirs à coup de dérapages. La vie, après son passage, ne serait plus jamais pareille. Elle sortait de l’écran. Elle galopait sans limite. Elle réchauffait les cœurs les plus secs. Les coutures avaient cédé, il était temps de jeter notre corset. Sans cette cavalcade infernale, nous aurions été accablés par notre insignifiance, notre désespérante condition. Nous étions rien, il était tout. Belmondo a fait exploser notre cadre. Il a accéléré notre rythme cardiaque, nos désirs, notre élocution, ses mots résonnaient dans notre for intérieur comme des appels à la liberté. La nuit, il continuait son long travail de désobéissance, en nous incitant à prendre la tangente, à ne jamais suivre les chemins balisés.

Quel merveilleux professeur ! Plus tard, en vieillissant, nous avons toujours décelé chez les hommes qui avaient aimé Belmondo, cette trace d’insouciance, ce reste d’enfance, cette connivence d’instinct, cette émotivité à fleur de peau. Avec les années, nous avons cessé de le défendre face aux nabots qui répétaient les mêmes âneries, scindant doctement l’acteur en deux entités distinctes et irréconciliables. Le Belmondo de la Nouvelle Vague et le Belmondo commercial des années 80. Ces prétentieux n’avaient rien compris au film. Avec leurs gros sabots idéologiques, ils étaient bien incapables d’apprécier les sous-ensembles flous. Belmondo joue dans les interstices. Acteur secret et complexe, pudique à l’extrême, il n’a rien du balourd en cuir qui dégaine plus vite que son ombre. Ses personnages sont toujours des héros en bout de course, leur victoire éphémère contre le Mal, ne leurre pas. Leurs acrobaties, leur pétulance, leur désinvolture cachent une profonde mélancolie. Belmondo cherche sans cesse cet ailleurs dont on ne guérit jamais. Les manques imaginaires sont les plus délicats à combler. Belmondo a conservé la désinvolture des hommes qui souffrent en silence. Son combat gagné face à la maladie, sa discrétion devant les médias sauf quand il s’agit de parler de son père et du musée qui lui est dédié à Boulogne-Billancourt, nous émeuvent. Depuis quarante ans, nous vivons avec le mystère Belmondo, il nous enchante et nous nourrit.

Itinéraire d’un enfant gâté de Claude Lelouch en version remasterisée – Marco Polo Production – (Sortie 6 mai)

Musée Paul Belmondo – Boulogne-Billancourt – Horaires d’ouverture : du mardi au vendredi de 14h à 18h et du samedi au dimanche de 11h à 18h (fermeture de la caisse de la billetterie à 17h15).



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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