Le cinéroman de notre Bebel national
Les Tribulations d’un Chinois en Chine (1965)
C’est toujours un choc de voir Jean Rochefort dans Les Tribulations. Rochefort a bonifié son jeu d’acteur en se laissant pousser la moustache. Julia déteste la fausse négligence des barbichons comme elle les appelle. Une espèce d’attardés qui aspire à la visibilité avec trois poils sous le menton. La Gainsbarbe, une coquetterie ridicule qui, selon elle, confirme la disparition des vrais hommes. Elle admet que mes héros de ciné avaient encore des traces de masculinité dans leurs gènes. De la théorie du genre, ces hommes « modernes » n’ont retenu que le mauvais.
Le Corps de mon ennemi (1976)
Le Corps de mon ennemi a une saveur particulière. J’ai dragué l’une de mes ex en lui parlant de ce film, je vois les intellectuels rigoler. Ne vous gaussez pas trop vite. Draguer avec Casablanca, pourquoi pas, avec L’homme qui aimait les femmes, une formalité, mais Le Corps de mon ennemi, impossible. Terrain miné, un film adapté d’un roman de Félicien Marceau, un réprouvé de la République, aucune chance de réussite. No pasarán ! Je l’avais repérée en cours de latin, elle ânonnait « Rosa la rose », tandis que je me noyais dans les déclinaisons et les méandres de son pantalon. Elle s’appelait Clotilde, je trouve ce prénom un peu cruche aujourd’hui, je me souviens de ses bras potelés et de son jean trop serré. Une cinéphile qui ne voyait que par la Nouvelle Vague. Et là, j’ai opté pour la défense de rupture, la même que celle inventée par maître Vergès dans ses plaidoiries pour le FLN. L’attaque toujours l’attaque. Je l’ai déstabilisée. Je lui ai parlé du Corps de mon ennemi comme d’un film social, d’une satire où le fils d’ouvrier prend sa revanche sur le patron de filature du nord de la France. Elle a craqué. Je l’avais tellement bien vendu que j’ai réussi à l’embrasser le soir même. Merci Jean-Paul et Henri Verneuil, vous m’avez sauvé cette année-là d’une terrible déroute.
La concurrence était rude à cette époque dans les couloirs du lycée Paul Valéry. Plus tard, j’ai réessayé la même tactique avec Joyeuses Pâques, j’ai fini la soirée seul. Avec Julia, j’avais joué la sécurité en lui montrant un Dino Risi.
Le Professionnel (1981)
Des communistes au gouvernement et un barbouze sur les écrans. Josselin Beaumont et le président Njala. On retiendra la musique du film qui a servi pendant vingt ans tous les publicitaires de France en manque de créativité sonore.
Avec Le Professionnel, s’est posée la question cruciale du blouson en cuir. J’ai tanné mes parents pendant des semaines pour qu’ils m’offrent le même. Ils ont tenu bon, ils n’ont jamais craqué jusqu’à ma majorité. Ma mère me préférait en loden vert ou en duffle-coat oxfordien. Un blouson en cuir, on aurait pu me prendre pour un fils de footballeur ou pire, de fonctionnaire. Elle était libérale mais pas jusque-là tout de même. Il y a deux ans, je me suis arrêté rue Saint-Denis dans une boutique Western, le temple de la botte texane, du ceinturon et du flight jacket. Belmondo ne vous lâche jamais. Cette affiche où il pointe son flingue et où il porte ce cuir aux manches détachables m’a taraudé longtemps l’esprit. Une autre question me hante : où peut bien se trouver le Malagawi ? Un soir, j’avais failli renverser Robert Hossein au feu rouge de la Madeleine, il m’avait fusillé du regard. Le commissaire Rosen de la brigade Sauvage avait encore du répondant.
Ho ! (1968)
En 1968, Belmondo tourne Ho ! sous la direction de Robert Enrico. Alors que la société française a eu, quelques mois auparavant, un coup de chauffe printanier. Belmondo accorde une interview au magazine Lui. J’ai mis des mois à retrouver cet exemplaire chez un bouquiniste. Les années 1970 ont un parfum d’inachevé, de paradis perdu, les jeunes avaient des envies, on était prêt à « mourir » pour des idées politiques, on pratiquait encore l’amour libre et on pouvait faire crisser les pneus de sa voiture sur le boulevard Saint-Germain sans subir les oukases de la municipalité. On pouvait apercevoir Françoise Fabian à la sortie de l’Avia Club et Marcel Aymé à la Rhumerie martiniquaise. Un monde à jamais éteint comme mon union avec Julia. Elle ne répond plus à mes coups de fil.
Le Marginal (1983)
Deux noms à retenir dans Le Marginal : le masque de cire d’Henry Silva et la sculpturale Carlos Sotto Mayor qui a partagé un temps la vie intime de Belmondo. Sculpturale est le mot juste, Carlos est une Américaine du Sud avec cet accent divin, ce fredonnement cajoleur dans les graves, cette poitrine dorée et ces fesses atrocement provocantes. Tout en apesanteur, en suspension sur son passage. Lorsque j’ai été embauché dans ma première boîte à la fin des années 1990, j’occupais un poste subalterne, vulgaire pousse-papier qui ne servait à rien mais qui avait le gros avantage de le savoir. Il fallait bien payer les trop chers loyers parisiens. Je passais mes journées à vagabonder de bureau en bureau, on appelait ça le cabotage administratif et surtout, je sillonnais le hall d’accueil, tel le chercheur d’or. Là, derrière le comptoir, j’ai rencontré Delphine. Elle avait cette bouche profonde et ce décolleté à la Sotto Mayor, explosif et tentateur. Toutes mes approches échouèrent. Même avec le blouson en cuir du Marginal, je restais à quai. Ça swinguait pourtant sous son chandail comme le chantait Vivien Savage. Dans Le Marginal, il y a aussi Pierre Vernier, le vieux complice du Conservatoire qui interprète l’inspecteur Rojinski et dont l’apparition dans deux épisodes de la série The New Avengers aux côtés de Purdey et Gambit me réjouit.
Le Doulos (1962)
Belmondo n’a jamais fait l’erreur de chanter, ils ont été nombreux nos grands acteurs à pousser la chansonnette, la liste est longue et dérisoire. Deneuve, Depardieu, Delon, Berry, Adjani, Marceau, etc. Une mode qui je l’espère ne reviendra jamais comme celle des bandanas et des chaussures à glands. J’écoute exclusivement depuis l’âge de quatorze ans de la musique noire américaine des années 1970 : Bill Withers, Isaac Hayes, George Benson, Barry White, Bobby Womack. Mes oreilles se sont habituées à cette soul diabolique qui tangue comme un tanker en haute mer. Julia, avant mon infidélité, m’avait offert un CD de Reggiani, je l’écoute en boucle. Sarah me fait pleurer. Lorsque je suis sur le périphérique bouché, les autres automobilistes doivent me prendre pour un fou. Mes larmes dégoulinent sur le volant.
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Retrouvez l’intégralité de « Belmondo et Moi » en version numérique sur le site Nouvelles Lectures
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